Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

transformation radicale de la Grèce : transformation économique, puisqu’il se créa, par l’industrie, par le trafic, par la navigation, une source nouvelle de fortunes ; transformation sociale, puisqu’il sortit de là une espèce de bourgeoisie urbaine qui vint s’interposer entre la classe des nobles et la classe des paysans, qui seules existaient jusqu’alors, séparées l’une de l’autre par un abîme ; transformation politique, puisque les roturiers se sentirent bientôt assez forts pour arracher le pouvoir à l’oligarchie, d’abord au profit de la tyrannie, puis au profit de la démocratie. Jamais il ne s’est produit dans le monde hellénique de changement comparable à celui-là, et il fut provoqué par l’apparition ou plutôt par le développement d’une forme de travail que la Grèce n’avait connue auparavant qu’à l’état rudimentaire.

Les régimes qui succédèrent à l’oligarchie eurent soin presque partout d’encourager l’essor dont je parle. Un ne songea pas à défendre la production nationale par des tarifs de douane ; les droits perçus à la frontière étaient des taxes fiscales, d’un taux toujours très modéré (2 pour 100 en moyenne), et non des mesures prohibitives ou protectionnistes. On ne songea pas davantage à écarter les ouvriers étrangers ; on allait jusqu’à les attirer par la promesse d’un bon salaire, quand la main-d’œuvre indigène était rare ou inexpérimentée. Dans quelques pays, on punissait comme un délit l’oisiveté du pauvre. Solon voulait que le père de famille, quand il n’avait pas de ressources, enseignât un métier à son fils. L’État ordonnait souvent de grands travaux publics, autant pour procurer de l’ouvrage aux artisans que pour embellir la cité, et Périclès se vantait d’avoir ainsi « répandu l’aisance parmi toutes les conditions. » A Sybaris, il y avait des espèces de brevets d’invention, du moins pour les cuisiniers qui imaginaient un plat nouveau, et on accordait des exemptions d’impôt à quiconque « importait de la pourpre ou teignait les étoffes en rouge. » Nous possédons des traités de commerce qui concèdent aux habitans d’une ville le droit d’exporter en franchise les produits naturels d’un pays lointain. Parfois ce privilège, au lieu d’être conféré à tous les citoyens indistinctement, était réservé à quelques particuliers. Aristote dit qu’un homme d’Etat avisé ne doit négliger aucune occasion de conclure des arrangemens diplomatiques de cette nature. Toute la politique extérieure d’Athènes fut dominée par le souci de chercher au dehors des matières premières et de s’y ménager des