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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/642

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débouchés. Les colonies qu’elle fonda, les acquisitions territoriales qu’elle fit, l’empire maritime qu’elle créa au Ve siècle avant Jésus-Christ et qu’elle essaya de restaurer au VIe, tout cela avait pour but de servir les intérêts de l’industrie et de la classe industrielle, et un contemporain remarque que la prépondérance du peuple athénien en Grèce « le mettait en situation de s’enrichir plus que tous les autres. »

Les représentans des vieilles idées avaient beau s’obstiner dans leur dédain traditionnel pour cette sorte de travail et même pour tout travail ; les philosophes avaient beau alléguer que le citoyen, pour être vraiment à la hauteur de ses obligations, doit être, comme à Sparte, un homme de loisir, et que, s’il ne peut pas vivre entièrement du travail d’autrui, il doit tout au moins s’interdire les professions manuelles, qui ont le double inconvénient de dégrader le corps et l’âme : cette opinion était en désaccord avec le sentiment public et la législation des démocraties. A Athènes, par exemple, la loi reconnaissait au travailleur le plus humble les mêmes prérogatives politiques qu’au reste des citoyens. Nul n’y rougissait de son métier, à moins qu’il ne fût notoirement sordide ou immoral, et ce n’était pas une humiliation pour Cléon d’être tanneur, ni pour Démosthène d’être le fils d’un armurier. Un potier qui offrait un ex-voto à une divinité ne craignait pas de prendre cette qualification dans sa dédicace. Sur les bas-reliefs funéraires, la profession du défunt était fréquemment indiquée, alors même qu’il avait l’attitude et le costume d’un personnage idéalisé. Reprocher à une femme de vendre des rubans sur la place, c’était risquer un procès en diffamation. De grands esprits comme Périclès et Thucydide estimaient que la honte consistait non pas à être pauvre, mais à l’être par fainéantise, et ils se félicitaient de ce que chez eux la pratique des devoirs civiques se conciliait sans peine avec la pratique d’un métier.

Ainsi la démocratie introduisit parmi les Grecs une manière nouvelle d’envisager le travail. Son action s’exerça à cet égard dans un sens tout autre que celle de l’aristocratie. Ce que l’aristocratie avait rabaissé et méprisé, elle le rehaussa et l’ennoblit. La première s’était contentée de jouir de sa richesse en laissant à ses subordonnés le soin de la créer ; la seconde créa la sienne en appliquant son activité personnelle à des procédés jusque-là peu usités. Si le régime oligarchique avait duré, la Grèce serait