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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/68

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C’est un précieux privilège de la production dramatique ; les autres arts, les autres genres littéraires, n’en jouissent pas. Les lecteurs ne sont entretenus de peinture ou de sculpture qu’en de rares occasions, — Prix de Rome ou Salons annuels ; — les livres, qu’il s’agisse de roman ou d’histoire, de science ou de poésie, n’obtiennent pas toujours de comptes rendus, même tardifs et succincts, lorsqu’ils sont signés de noms inconnus. Mais le moindre petit acte, joué dans le moindre théâtre, est, tout de suite et de droit, signalé, analysé, discuté à la face du monde.

Aux articles de fond s’ajoutent quotidiennement de petites notes obligeantes, qui annoncent ou escortent la représentation de l’ouvrage, en décrivent par le menu les décors ou les costumes, font connaître le chiffre des recettes lorsqu’elles sont avantageuses, excitent, allèchent, relancent le Parisien hésitant à domicile, et vont chercher le provincial dans son chef-lieu ou dans sa maison champêtre, pour les guider vers les bureaux de location. Les hourras vulgaires et sans écho de jadis étaient une pauvre chose, il faut l’avouer, comparés au retentissement des bravos imprimés d’aujourd’hui.

Ceux-ci n’ont toutefois pas plus d’influence que ceux-là sur le succès. Les directeurs, empressés à solliciter la réclame, sont unanimes à la déclarer sans effet. Le public a des raisons que la critique ne connaît pas. La répétition générale et la « première » les font pressentir, mais non pas avec certitude. Ces salles de « premières », composées de professionnels et de gens blasés, avec un mélange de snobs et de filles, sont sujettes a des sympathies et sensibles à des finesses qui ne toucheront pas les âmes plus épaisses ou plus sensées, en tout cas plus simplistes, des assemblées ultérieures. Cependant, par l’avalanche des complimenteurs en scène, aux entr’actes, par les cris d’admiration et les embrassades, ou, au contraire, par la rareté des visites, les poignées de main sommaires et les encouragemens inquiets, l’auteur, triomphant ou consterné, présage une réussite ou un « four ; » mais rien n’est plus capricieux que la destinée d’une pièce. Il en est dont le sort se décide dès le lendemain ; il en est qui, promettant une longue carrière, s’arrêtent subitement, et d’autres dont le succès d’argent ne se dessine qu’au bout d’une vingtaine de représentations. Les prophéties sont toujours douteuses.