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que la liberté que la République leur a donnée, et l’ampleur même des projets qu’ils forment, est tout à l’honneur de l’humanité. » Quelle différence entre cette phraséologie de comice agricole et ses discours d’autrefois, si vifs, si précis, si lumineux ! Mais il ne pourrait pas les renouveler aujourd’hui : encore une fois, M. Millerand était là. M. Waldeck-Rousseau parlait de manière à ne pas déplaire à M. Millerand, et M. Millerand se taisait en attendant que M. Waldeck-Rousseau lui eût laissé le champ libre.

Alors, se sentant maître de la situation, il a parlé en pleine liberté. Après avoir remercié de leur présence les deux collègues qui l’entouraient : « Ils offrent, a-t-il dit, au ministre socialiste que je suis, l’occasion de définir une fois de plus, en toute clarté et en toute précision, le caractère et la portée de la collaboration socialiste à l’œuvre gouvernementale. » Grave question, sur laquelle le parti socialiste lui-même est profondément divisé. Les uns approuvent l’entrée de M. Millerand dans un ministère bourgeois, les autres la condamnent et la flétrissent. Quelques-uns ont dit qu’il fallait regarder le fait accompli comme exceptionnel, et qu’il ne se renouvellerait pas. Mais que pensait M. Millerand lui-même des ardentes polémiques qui se sont produites autour de son portefeuille ? Acceptait-il l’opinion que sa présence dans le ministère était un fait anormal, expliqué par les circonstances où le cabinet actuel s’est formé, et qui n’était pas destiné à se renouveler ?

À cette question, sa réponse a été catégorique. « Ce serait, a-t-il dit, se leurrer étrangement que de tenir le fait pour un incident ou un accident sans lendemain comme sans précédent. Il n’était, au fond, que la conclusion logique et nécessaire de l’altitude observée et de la conduite suivie depuis de longues années par le parti socialiste français. » Cette attitude, cette conduite, M. Millerand s’est efforcé de les préciser, et il n’y est guère parvenu, car elles ont été très confuses, et tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, suivant que telle ou telle influence prévalait dans le parti. Il a tout approuvé, en bloc, comme disait l’autre, et, faisant l’éloge de l’esprit politique si souvent manifesté par les socialistes : « Ils montraient, a-t-il affirmé, qu’ils étaient résolus à assumer toutes les responsabilités qu’implique, pour un parti digne de ce nom, l’acceptation loyale de la participation à la vie publique. Par quel sophisme distrairait-on de ces responsabilités les plus lourdes et les plus fécondes ? Et n’est-il pas évident que le parti socialiste, s’il veut rester un parti, n’a pas plus le droit de se dérober de propos délibéré aux