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chrétien, reconnu dans les régions de l’intérieur ou dans le Rif, est à peu près sûr de ne jamais revoir sa pairie. Les traités stipulent, il est vrai, la liberté pour les Européens de circuler dans toute l’étendue de l’empire, de même qu’ils leur garantissent le droit de propriété ; mais ce ne sont là que de vains textes, que le Maghzen, à supposer qu’il en eût la volonté, est totalement impuissant à faire respecter. Dernièrement encore, M. Forret, parti pour le Rif, avec une mission de la Société de géographie commerciale de Paris, n’a pas reparu. Le vicomte de Foucauld n’a pu accomplir ses admirables explorations que déguisé en juif marocain, en se résignant à subir toutes les avanies et tous les mauvais traitemens réservés aux enfans d’Israël. La protection menu ; des plus puissans personnages n’est pas toujours une sauvegarde suffisante : Duveyrier a dû, malgré le patronage du chérif d’Ouazzan, renoncer à explorer le Rif ; et M. de Segonzac n’a pu, tout récemment, visiter cette province que sous la djellaba d’un marchand tripolitain. Ainsi, ce n’est qu’au prix des plus grandes fatigues et des pires dangers, que d’intrépides voyageurs, parmi lesquels l’on n’est pas surpris de trouver beaucoup de Français, ont pu se risquer hors des pistes battues et des villes de la côte, pour arracher au Maghreb-el-Aksa les secrets qu’il cache si jalousement.

Théoriquement, le commerce, au Maroc, est libre ; mais, en fait, une infinité de restrictions, de prohibitions, de taxes, entravent les échanges. Les marchandises étrangères sont frappées à l’importation d’un droit de 10 pour 100 ad valorem, qui a été adouci en notre faveur par l’accord commercial du 24 octobre 1892[1]. La plupart des transactions se font par l’intermédiaire des juifs qui, protégés aussi bien par le mépris qu’ils inspirent que par les services qu’ils rendent, s’insinuent dans les coins les plus reculés du Maghreb, se font « les hommes, » au sens féodal du mot, de quelque puissant musulman et deviennent les courtiers indispensables, souvent pillés, mais prompts à s’enrichir de nouveau, de toutes les affaires.

En outre, les Puissances étrangères exercent sur certains sujets marocains un droit de protection, réglementé par la Convention de Madrid, de 1880, et qui leur permet de soustraire à l’arbitraire de la justice et de l’administration locales, les

  1. Sur tout le détail des conventions commerciales, voyez Rouard de Card : les Traités entre la France et le Maroc. Paris, Pedone, 1898, in-8o.