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en rien à la description et où, d’ailleurs, les Espagnols n’ont encore que des droit » théoriques. Voilà, il était nécessaire de le constater, la situation des Espagnols sur les côtes du Maroc. Cramponnés, depuis des siècles, à quelques îlots et à quelques presqu’îles du littoral, ils n’en ont tiré profil ni pour agrandir, ni même pour faire respecter leur territoire ; à cette longue domination, ils n’ont gagné que les haines inexpiables des tribus du voisinage ; cette possession précaire de quelques rochers ne leur confère guère plus de droits sur la masse du pays, que d’accrocher leurs nids aux fenêtres n’en donne aux hirondelles à la propriété d’un édifice.

Que de significatifs enseignemens encore dans les chiffres qui résument le mouvement d’échanges entre l’Espagne et le Maroc ! La plus proche voisine du Maghreb est la seule nation qui soit sa tributaire commerciale, qui lui achète beaucoup plus qu’elle ne lui vend[1] !

Il est de la dignité de l’Espagne de regarder en lace les réalités ; dans l’état politique, financier, économique où elle est aujourd’hui, elle ne saurait assumer seule la tâche très lourde de protéger et d’organiser le Maroc. La parenté des races, qu’invoquent volontiers les partisans d’une politique d’action en Afrique, leur serait plutôt, à supposer qu’elle fût réelle, un obstacle qu’une aide, car il n’est pas de pires ennemis que les frères ennemis. Le souvenir des victoires d’O’Donnell, en 1859, s’est effacé ; il n’est resté que les fermens de haine laissés, notamment à Tetuan, par les troupes espagnoles. Dans de pareilles conditions, ce qui serait possible à la France, par exemple, puissance africaine, habituée à gouverner des musulmans, connue d’eux pour garantir à tous ses sujets une complète liberté religieuse, serait impraticable à l’Espagne, quand même elle s’y appliquerait loyalement. Sept siècles d’histoire et l’implacable éloquence des morts s’insurgeraient contre une pareille tentative.

Le Maroc du Nord est aujourd’hui la seule terre où l’Espagne pourrait trouver un jour une expansion naturelle : le sentiment populaire dans la péninsule se révolterait si cette possibilité d’un avenir conforme à ses traditions nationales lui était enlevée.

  1. Voici les chiffres de 1899 : Importations espagnoles, 522 955 francs. Exportations marocaines, 6 178 784 francs, consistant en peaux, œufs, pois chiches, maïs, fèves, poisson salé, amandes, oranges. Nous mettons, à part, bien entendu, le commerce de contrebande.