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La France devrait tenir compte, au cas où les événemens l’amèneraient à intervenir au Maroc, de susceptibilités si légitimes : elle pourrait voir sans jalousie l’Espagne occuper les côtes septentrionales du Maghreb, jusqu’à Melilla, sous la seule garantie que le gouvernement de Madrid s’engagerait à ne jamais céder ses possessions africaines à quelque autre puissance et à respecter la liberté du détroit. Dans un article qu’il a publié récemment et qui a pris toute l’importance d’un événement politique[1], le chef du parti conservateur, M. Silvela, a donné à ses concitoyens les conseils les plus sages auxquels son expérience ajoute un prix infini. Méconnaissant que la « question marocaine » est à la veille de s’ouvrir et que l’Espagne ne saurait de longtemps assumer une tâche aussi vaste que le protectorat ou la domination du Maroc tout entier, il montre dans la France l’alliée naturelle de l’Espagne ; résolument adversaire d’un statu quo impossible à prolonger, comprenant que « la situation actuelle du Maroc, fermé au commerce, à la civilisation, à toute augmentation de la population, à l’exploitation de ses mines, à la consommation et à l’échange des produits, n’est pas un bénéfice ni une richesse, mais bien une raison de pauvreté, de stérilité et de stagnation pour l’Espagne, » il cherche le moyen, pour son pays, de n’être pas exclu d’un partage éventuel, et ce moyen, il le trouve dans une entente avec la France, où l’Espagne « trouvera l’appui le plus sûr, non certes pour la guerre, mais pour un partage équitable et raisonnable. »

Les Espagnols méditeront les paroles si sages de l’éminent homme d’Etat ; ils rappelleront les souvenirs de 1859 et de 1860 ; quand lord John Russell arrêta brutalement, sur la route de Tanger, l’avant-garde de Prim, victorieuse à Tetuan, et arracha à O’Donnell le fruit de trois victoires, l’Espagne obtint au contraire de la France un loyal appui. Ici, comme partout dans le monde, l’on saisit sur le vif le jeu, toujours renouvelé mais toujours efficace, de l’Angleterre : froisser l’amour-propre espagnol en lui montrant une France prête, à conquérir le Maroc, tenter de brouiller les deux voisines pour jeter l’Espagne dans l’alliance britannique. Implantés, par la force, dans ces parages où leur présence sur le rocher de Gibraltar a bouleversé les

  1. La Cuestion de Marruecos, dans la Lectura d’août 1901. L’article est signé : un diputado a Cortès. Il a été en partie traduit par M. R. de Caix dans le Bulletin du Comité de l’Afrique française de septembre.