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du commerce et commencer d’arracher, au sommeil léthargique de l’Islam, la perle du Maghreb.


Lorsque mourut Ba-Hamed, le puissant ministre de Mouley-el-Hassan et de Mouley-Abd-el-Aziz, le splendide palais qu’il avait fait bâtir à Marrakech et où il avait entassé les merveilles de l’art arabe ancien et moderne, fut fermé pour toujours. Ainsi le veut la coutume, lorsque meurt un prince ou quelque très haut personnage ; les jardins qu’il a aimés, les tapis où il s’est reposé, les décorations dont il a pris plaisir à embellir sa demeure, tout est enfermé, condamné à tomber lentement en poussière. Loti a dit, en des pages exquises, la mélancolie profonde de ces splendeurs à jamais ensevelies sous leur suaire de chaux blanche… Il en est de tous les pays musulmans, il en est surtout du Maroc comme de ces palais merveilleux que la volonté des hommes a rendus muets et déserts ; l’Islam recouvre, sous un suaire d’inertie morale, de fatalisme et de dépravation, les vestiges des plus brillantes civilisations ; et, pour en retrouver les traces, il faut soulever le voile mortuaire qui les cache. Aujourd’hui le muezzin, du haut de son minaret, fait résonner son cri guttural sur La Mecque et sur Babylone, sur Memphis et sur Carthage, sur Tombouctou et sur Téhéran, sur Samarcande et sur Jérusalem, sur Sainte-Sophie et sur Alexandrie. L’Islam est un danger dont on a le sentiment très net en écoutant ces mélopées si impressionnantes, quand, à l’heure du Maghreb, elles retentissent sur les villes enveloppées de crépuscule et semblent voler sur les toits plats pour rejoindre, par-delà les campagnes indéfinies, d’autres voix lointaines qui jettent aux quatre vents la même prière. De nos jours, beaucoup des anciennes conquêtes du Croissant lui échappent et renaissent à une vie plus libre et plus féconde : le Maroc n’évitera pas un semblable destin ; l’étranger, qu’il redoute et qu’il éloigne de tout son pouvoir, finira par le pénétrer de toutes parts, il forcera les portes de l’antique citadelle de l’Islam africain et inaugurera, pour cette terre si belle, où donnent tant de richesses et de souvenirs, une ère nouvelle où le travail amènera la prospérité. Que la France doive être l’ouvrière de celle transfiguration prochaine, c’est, comme l’ont prédit quelques prophètes berbères, ce qu’Allah a écrit au livre des destinées.


RENE PINON.