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mouvement ; car, pour lui, la promotion au Cardinalat eût été un succès tel qu’il retenait son souffle pour ne pas troubler l’œuvre à laquelle son rival s’employait avec un zèle si démonstratif.

Il avait décidé la Reine-Mère à accompagner le Roi jusqu’à Poitiers, autant pour donner, de son côté, une preuve de zèle et de confiance que pour surveiller de plus près l’exécution des promesses du favori. Ainsi, il avait pu suivre les Conseils où avait été décidé le voyage de Béarn. Il désapprouvait, au fond, la décision prise. Mais il se taisait. La Reine-Mère, toujours mécontente, avait fini par laisser là la Cour et par s’en retourner à Paris.

Le nonce du Pape était accouru, de Paris à Poitiers, pour prendre part, de son côté, à ces graves délibérations. Or, Luynes et Puisieux, au moment où ils allaient accompagner le Roi dans son voyage du Midi avaient profité de la présence du nonce, pour avoir avec lui, dans le plus grand secret, au sujet de l’évêque de Luçon une bien curieuse conversation : « Le Roi a désigné Luçon pour le chapeau de cardinal, avaient-ils dit. La Reine-Mère est tellement engouée de cette idée, qu’on n’a pu lui opposer un refus. Mais, de vous à nous, il faut qu’il soit bien entendu que cette proposition n’est que pour la forme. Notre ambassadeur lui-même ignore et ignorera notre véritable pensée. Nous le laissons l’aire des démarches, c’est entendu. Mais vous, vous savez la vérité et vous pouvez l’écrire à Rome. Le Roi entend empêcher, à tout prix, cette nomination. D’ailleurs, il envoie là-bas un émissaire secret, Chazan, avec des lettres de sa main pour qu’on n’ait aucun doute sur ses intentions… Vraiment, cet évêque est fou ! C’est lui qui a mis le royaume sens dessus dessous ; il est la cause de tout le mal. De son exil d’Avignon, il fomentait cette terrible révolte dont nous avons eu tant de peine à venir à bout, et ce serait lui qui recueillerait maintenant tout le bénéfice !… Et quelle ingratitude ! avait ajouté Luynes qui ne se contenait plus, l’ai tout fait pour lui. Je l’ai sauvé au moment de la mort du maréchal d’Ancre ; je l’ai maintenu près de la Reine-Mère ; et il reste, malgré tout, mon plus furieux ennemi ! On va le mettre en observation : si, vraiment, il s’est corrigé, nous verrons ; il sera toujours temps de le faire cardinal. Mais pour le moment, qu’il attende ! tout cela, bien entendu, entre nous et dans le plus grand secret ; le Roi en a assez de