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Elle est plus souvent que les autres peuples en humour de dévouement et de sacrifice. » Loin de railler ceux qui nous rappellent ainsi qui nous sommes et ce que nous valons, comme il faudrait les chérir et les honorer !

Le dernier terme auquel vient aboutir la pensée de Hugo ne laisse pas toutefois d’être inquiétant. Pour réaliser le progrès tel qu’il le rêve, l’emploi des moyens violons lui semble légitime. Il ne le dit pas d’emblée et en termes aussi formels. Il commence par déclarer qu’il est pour « le progrès en pente douce, » ou bien il nous étourdit d’un tel carillon de mots et de jeux de mots que nous ne savons plus ni ce qu’il veut ni ce qu’il pense ; ici, par exemple : « On accuse les révolutionnaires de semer l’effroi. Toute barricade semble attentat. On incrimine leurs théories, on suspecte leur but, on redoute leur arrière-pensée, on dénonce leur conscience. On leur reproche d’élever, d’échafauder et d’entasser contre le fait social régnant un monceau de misères, de douleurs, d’iniquités, de griefs, de désespoirs, et d’arracher des bas-fonds des blocs de ténèbres pour s’y créneler et y combattre. On leur crie : vous dépavez l’Enfer ! Ils pourraient répondre : c’est pour cela que notre barricade est faite de bonnes intentions. Le mieux, certes, c’est la solution pacifique. La somme, convenons-en, lorsqu’on voit le pavé, on songe à l’ours, et c’est une bonne volonté dont la société s’inquiète, » etc., etc. Barricades pavées de bonnes intentions, pavé de l’ours, progrès en pente douce, toutes ces drôleries ou toutes ces prouesses d’élocution ne doivent pas nous donner le change. La vérité est que Hugo appartenait à une génération pénétrée des leçons et des exemples de la Révolution française, et que le mot fameux : « L’insurrection est le plus saint des devoirs, » avait pour lui l’évidence d’un axiome. Je ne m’engagerai pas à sa suite dans la distinction fort longue et terriblement subtile qu’il essaie d’établir entre l’émeute et l’insurrection, condamnant l’une pour glorifier l’autre. Je n’examine pas non plus si, à la date de 1862, il avait tort ou raison d’exhorter le peuple de Paris à la révolte en lui remémorant et en magnifiant ses révoltes antérieures. Je me borne à constater qu’il a consacré près d’un quart de l’ouvrage aux émeutiers du 5 juin 1832, à leur histoire, à leur apologie, et que le portrait qu’il a tracé d’eux, que son « épopée de la rue Saint-Denis, » égale presque eu beauté héroïque son immortel récit de Waterloo.