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parce qu’il faut montrer la réalité telle quelle est, mais aussi, apparemment, parce que ce genre de peintures a pour lui de l’attrait : ce Lavedan-là a mis au théâtre quelques-unes des scènes les plus vives qu’on y eût encore vues et reculé un peu plus loin qu’on n’avait fait les bornes du cynisme. L’autre, moraliste éperdument moral et bourgeois à tour de bras, est le représentant de toutes les saints doctrines, le conservateur de tous les bons principes, l’avocat de la famille, le héraut du devoir, le poète ému de l’innocence : ce Lavedan-là a mis au théâtre quelques-unes des tirades les plus vertueuses, quelques-unes des déclamations les plus outrageusement honnêtes, quelques-unes des fables les plus fades qu’on y eût encore entendues. Lorsque, d’une œuvre à l’autre, ces deux écrivains alternent et que, du Nouveau Jeu à Leurs sœurs ou du Vieux marcheur à Catherine, nous nous trouvons en présence tantôt de l’un et tantôt de l’autre, nous nous demandons : lequel des deux est le vrai ? Lorsque, dans un même ouvrage, comme dans Viveurs, nous les rencontrons tous les deux et tour à tour, nous les renvoyons dos à dos. Il nous faut un peu de réflexion et quelque effort pour admettre que ces deux hommes puissent n’en faire qu’un, et pour nous aviser que, dans les œuvres mêmes où le peintre de scènes galantes semble seul s’être donné carrière, le moraliste n’était pas complètement absent. Tel est pourtant le cas de M. Lavedan : tout attiré qu’il soit vers l’étude de certaines formes de la vie, il n’est pas séduit par elles : il n’a ni indulgence ni sympathie pour les personnages qu’il nous présente ; il est bien loin de trouver leur corruption délicieuse et exquise leur déliquescence. A mesure qu’il pénètre davantage dans leur intimité, il aperçoit mieux la platitude de leurs sentimens, la pauvreté de leurs idées, leur détresse intellectuelle, leur misère morale, la vulgarité de leurs élégances, l’ennui de leurs plaisirs, la niaiserie de leurs passe-temps, le vide de leurs existences désolées ; leur âme n’est que sottise, laideur et vilenie ; et il arrive que cette sottise soit méchante, que ces imbéciles deviennent dangereux : ils sont abominables. Cette attitude que prend M. Lavedan vis-à-vis de ses modèles contraste avec celle de la plupart des peintres de la vie que les étrangers appellent parisienne. Ceux-là sont amusés par le spectacle qu’ils peignent ; lui, il en est irrité. Ils sont des dilettantes et des ironistes ; lui, par les procédés qu’il emploie, par l’âpreté du ton et la cruauté de certains traits, est un satirique.

D’après cela, il est aisé de deviner dans quelles dispositions l’auteur du Marquis de Priola devait aborder l’étude du Don Juan