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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/938

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est apparu… Seulement cette conception entraînait de graves inconvéniens et des obstacles dont M. Lavedan n’a pas triomphé. Le personnage, auquel il ne laisse aucune excuse et aucune élégance, est monotone et monotone dans la laideur. Nous passons la soirée dans la compagnie d’un vilain monsieur ; et ce vilain monsieur lire à soi toute l’attention : il est toute la pièce. Trop est trop. Cet étalage de cynisme, cette pédanterie dans la perversité, sont d’un petit-maitre qui serait un cuistre. Le spectacle, continûment pénible, est souvent désobligeant., Tout ne pouvait pourtant pas se passer en tirades et professions de foi : il fallait mettre en scène le donjuanisme du marquis. De là certaines scènes, parmi lesquelles la scène des almanachs est la mieux venue, et la plus révoltante. Elle est d’une crudité qui dépasse tout ce qu’on avait osé jusqu’ici à la Comédie-Française et, je pense, ce que devrait se permettre un auteur homme de goût. Le public est ici le plus coupable : il laisse tout passer comme lettre à la poste ; il a définitivement abdiqué.

Je sais bien que, pour soulager notre conscience, M. Lavedan a opposé, au satanisme du père, les généreuses révoltes du fils. Le malheur veut que le rôle soit tout à fait conventionnel et que nous ne croyions pas un instant à son existence. Ce bon jeune homme a été tiré du lot de bons jeunes gens dont Augier et Dumas ont fourni le répertoire : il ne vient pas de la vie réelle. Dans la réalité, nous prévoyons à coup sûr ce que serait devenu un garçon élevé comme l’a été le fils du marquis de Priola, et jeté à vingt ans en pleine vie facile, muni de l’argent et des conseils que ne lui marchande pas l’auteur de ses jours. Qu’il ait, dans la pièce de M. Lavedan, résisté à de telles tentations, c’est un pur effet du hasard, ou plutôt c’est une fiction de l’auteur.

Il est exact encore que le marquis de Priola est puni au dénouement. La paralysie joue ici le rôle de la statue du Commandeur. C’est le châtiment naturel substitué au châtiment surnaturel, et la physiologie faisant fonction de morale. Mais toute la portée de ce dénouement tombe devant cette simple remarque que beaucoup de viveurs sont récompensés par une verte vieillesse, et que ceux qu’on traîne dans de petites voitures n’ont pas tous été des Don Juan. Ce châtiment n’est ni fatal, ni même topique. Mais il fournissait à l’auteur une façon commode de se tirer d’affaire. En confiant à la médecine le soin de punir le vice, M. Lavedan s’épargne la peine de donner à son étude une conclusion : c’est une manière de se dérober. Il eût fallu trouver autre chose, et cela en restant dans l’ordre des idées et des sentimens.