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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/939

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A la perversion morale qu’est le donjuanisme, il fallait trouver un châtiment qui vint de ses conséquences morales. Don Juan fait la chasse au plaisir, et le plaisir, justement parce qu’il le poursuit, lui échappe. Don Juan est assoiffé d’amour ; et le véritable amour, celui qui n’est plus seulement une sensation animale, mais une émotion marquée d’un caractère d’humanité, l’amour qu’ont chanté les poètes, celui que connaissent les simples et les purs, il en enviera, sans pouvoir la posséder jamais, la plénitude de bonheur. Voilà l’intime misère par laquelle Don Juan est puni, le jour où il s’aperçoit qu’il a fait un métier de dupe et que, de toutes ses victimes, il est encore la plus pitoyable.

Je passe, sans y insister, sur certains défauts dans la conduite de la pièce, car ils sautent aux yeux et tout le monde les a relevés. Il y a des personnages inutiles. Il y en a même dont la présence ne sert qu’à nous jeter sur une fausse piste. Au premier acte, paraît un certain M. Le Chesne, qui a épousé la femme divorcée du marquis de Priola. Ce vieux monsieur respectable nous raconte des choses bien extraordinaires : il passe ses nuits à gémir à la porte de sa femme, en inondant de ses larmes un portrait. Nous ne pouvons croire qu’on l’ail amené en scène uniquement pour nous bailler de pareilles sornettes ; mais nous remarquons qu’il se frappe la poitrine pour nous faire constater qu’il est commandeur : nous nous imaginons que ce commandeur va être « le Commandeur » et qu’il servira à amener le dénouement. Le lait est qu’il ne reparaîtra plus. Il y a dans l’action des brusqueries, de subites volte-face : au milieu du second acte, lorsque éclate la révolte du jeune homme, la scène est fort belle, mais elle est tout à fait imprévue ; nous ne savons sur quelle herbe a marché ce jeune homme et ce qui le fâche si fort.

Les moyens dramatiques employés par M. Lavedan sont souvent d’une banalité et d’un vieux jeu qui étonnent : ainsi l’épisode du portrait de sa mère, trouvé par le jeune homme dans la cassette où Priola garde ses lettres et reliques d’amour ; ainsi le truc qui consiste à cacher les gens dans la pièce voisine. Il y a des défaillances de métier, de composition dramatique, d’agencement des scènes. A pratiquer un genre dont la loi est le décousu, à écrire des dialogues parisiens qu’on n’a pas la peine de relier entre eux, à travailler pour des scènes où l’artificiel est une nécessité, M. Lavedan a pris des habitudes de négligence. Mais, d’ailleurs, plusieurs scènes, prises en elles-mêmes, ont de la puissance : la trame du dialogue est serrée ; le style est spirituel et mordant ; les mots portent. C’est à l’homme de théâtre que