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plus question de nuances et de valeurs : tout est mis sur le même plan. L’erreur de M. Le Bargy rejaillit sur l’ensemble de l’interprétation : car il faut bien que les autres comédiens suivent et se mettent au diapason. M. Le Bargy est en train de forcer sa nature. Il se fait applaudir, hélas ! C’est un genre d’applaudissement qui devrait l’effrayer pour l’avenir de son talent.


Le Détour est une jolie comédie dans un genre aimablement vieillot, doucement conventionnel et agréablement sentimental. Une jeune fille, qui a le malheur d’être la fille d’une grue et qui a bonne envie de devenir une honnête femme, peut-elle y réussir ? Cette question a été maintes fois soulevée au théâtre. Les auteurs ont coutume de répondre par la négative. M. Bernstein n’a pas éprouvé le besoin d’innover. Au premier acte du Détour, nous voyons Jacqueline entourée de messieurs qui lui font des propositions déshonnêtes. Un certain Rousseau, plus amoureux ou plus naïf que les autres, offre les justes noces. Au second acte, Jacqueline est devenue Mme Rousseau, et elle habite avec son mari chez ses beaux-parens. On nous donne ces beaux-parens pour des puritains d’une rigidité insupportable. Nous, dans la salle, nous les trouvons charmans. Comment ! Voilà des gens qui disent à leur belle-fille : « Depuis le jour où vous êtes entrée chez nous, vous êtes une Rousseau ; vous faites partie de la famille : le passé, nous l’ignorons : nous entendons que les autres l’ignorent comme nous et qu’on vous fasse honneur. » Et ils font comme ils l’ont dit : ce sont des gens qui vont jusqu’au bout de leurs engagemens. Cela vaut bien qu’on leur pardonne un peu de lourdeur et de maladresse : ce à quoi Jacqueline n’aurait pas manqué, si elle avait eu un peu plus de cette finesse de nature et de cette résolution vertueuse qu’on lui prête. Au troisième acte, Jacqueline se querelle avec son mari, revoit sa mère et s’esquive vers Cythère avec un des bons noceurs que nous avions vus tourner autour d’elle au premier acte. Le mariage n’aura été pour Jacqueline qu’un « détour. » Elle va maintenant rentrer dans la grande voie de la vie facile. Pleurons sur le sort de Jacqueline ! — Cette histoire nous est contée avec beaucoup de bonne grâce par un écrivain qui a de l’habileté, de l’adresse, de la légèreté de main, et qui n’a aucune prétention à bouleverser l’art dramatique.

Le rôle de Jacqueline servait de début à Mme Simone Le Bargy. Elle s’y est montrée charmante. C’est une comédienne experte, très sure