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difficultés, les incertitudes, les mauvais hasards de sa profession. Puis, comme je l’ai dit, le roman s’arrête ; la seconde partie du livre n’est plus qu’un recueil, assez désordonné, d’études sur divers problèmes de philosophie, de morale, ou de casuistique médicales. Et je dois ajouter que ces études sont loin d’offrir toutes le même intérêt, du moins pour le grand public, à qui ce livre s’adresse. Quelques-unes traitent de questions exclusivement professionnelles, tandis crue d’autres, au contraire, me paraissent avoir une portée générale des plus considérables. Dans l’une d’elles, l’auteur nous révèle l’extrême danger des opérations même les plus simples, lorsque le médecin qui les pratique ne possède point, de naissance, le don, le génie spécial de la chirurgie. Un autre chapitre a pour objet de nous mettre en garde contre les remèdes nouveaux, dont la plupart se trouvent être, en fin de compte, plus nuisibles qu’utiles. Ailleurs, en des pages qui sont peut-être les plus pathétiques de l’ouvrage entier, nous apprenons quel rôle énorme a joué, depuis un siècle, et joue encore, dans les progrès de la médecine moderne, l’expérimentation directe sur les malades des hôpitaux : l’expérimentation non seulement de l’effet des remèdes, mais aussi de la marche des maladies, soit que les médecins aggravent celles-ci chez leurs sujets, ou qu’ils les leur inoculent artificiellement. L’auteur nous cite, à ce propos, une centaine d’extraits de rapports envoyés à des journaux médicaux, ou lus dans des congrès. Et la sécheresse toute documentaire de ce chapitre de son livre prête un surcroît de saveur au chapitre suivant, où il célèbre les avantages scientifiques de la pauvreté, qui seule, en remplissant les hôpitaux, fournit à la médecine une aussi ample matière d’investigation.

Au reste, je ne saurais mieux définir l’esprit et le caractère de toute cette partie du livre qu’en la comparant, une fois de plus, aux réquisitoires sociaux du comte Tolstoï. De même que l’auteur de Ma Religion, l’auteur des Mémoires d’un Médecin apporte à l’étude de son sujet une constante préoccupation de l’idéal moral : avec cette différence, toutefois, que, traitant d’une réalité plus précise, il est souvent empêché d’aboutir à une conclusion. Car on se tromperait à croire, par exemple, qu’il désapprouve absolument l’expérimentation pratiquée sur l’être vivant : il ne peut oublier ni ce qu’elle a, en soi, d’immoral, ni les heureuses conséquences que, à plusieurs reprises, on en a tirées pour le bien des hommes. Un examen de conscience, une recherche, — également impartiale, — du pour et du contre : voilà l’entreprise qu’il semble s’être proposée, bien plutôt que la défense systématique d’une thèse préconçue.