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question de sentiment. Nous avons entrepris une affaire (business) que nous devons achever. — Eh bien ! nous conseillons à l’Angleterre, si elle veut conserver sa réputation d’esprit pratique, de ne pas s’engager dans beaucoup d’affaires de ce genre.

Il faut, parait-il, regarder cette guerre au simple point de vue affaire. Soit : c’est une manière comme une autre de la juger, mais qui ne modifie certes pas le jugement à en porter. On disait autrefois de la France qu’elle était assez riche pour payer sa gloire, et sans doute l’Angleterre l’est assez pour payer ce que nous appellerons la sienne : elle lui coûtera, toutefois, plus qu’elle ne vaut. S’il s’agissait d’un autre homme que lord Salisbury, nous dirions que son discours est une impertinence parfaitement gratuite. Mais sans doute il correspond à une partie de l’opinion, que lord Salisbury a jugé utile de flatter, et c’est une explication, à défaut d’une excuse. En tout cas, la cause de la paix ne peut rien y gagner. Lord Salisbury a dit un jour d’un discours de M. Chamberlain que, n’ayant pas été prononcé au Parlement, il ne comptait pas, et qu’il ne l’avait même pas lu : il est fâcheux qu’il ne puisse pas dire la même chose du sien.

Malgré tout, malgré l’insuccès apparent d’une démarche qui fait beaucoup d’honneur au gouvernement néerlandais, malgré la réponse de lord Lansdowne, malgré le discours de lord Salisbury, le sentiment général est qu’on a fait un pas vers la paix. Si le gouvernement néerlandais n’a pas fait sa démarche plus tôt, et s’il l’a faite précisément ces jours derniers, ce n’est pas sans motif qu’il l’a jugée en ce moment plus opportune. Et si, de son côté, le gouvernement britannique est entré, sur la meilleure et la plus prompte manière de mettre fin à la guerre, dans des explications un peu embarrassées sur quelques points, mais qui ne semblent pas malintentionnées, il devait avoir lui aussi des raisons pour cela. Peut-être les temps sont-ils proches. En tous cas, les Boers ont tiré de la guerre tout ce qu’elle pouvait comporter. Ils ont donné un incomparable exemple de vertu patriotique, et l’admiration du monde ne saurait augmenter pour eux. Ils ont le droit aujourd’hui de ne plus songer qu’à sauver de leur nationalité expirante tout ce qui peut encore en être ranimé.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.