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réponse britannique n’en aurait pas davantage et mériterait les mêmes qualificatifs, car elle a le même objet. Lord Salisbury, après avoir persiflé la note hollandaise, s’est exprimé sur M. Krüger et sur les Boers avec une dureté insolente et rogue qui rappelle M. de Bismarck dans ses plus mauvais jours, lorsqu’on disait de ses libres propos, en leur appliquant une expression de Jean-Paul, qu’ils étaient un véritable sirocco pour l’âme. Lord Salisbury s’exerce à son tour dans le même genre avec beaucoup de succès : nous ne l’en félicitons pas. En parlant de l’Afrique australe, il a accusé l’ambition de M. Krüger d’avoir versé une abondance de douleurs et de désolations dans cette partie de l’Empire : il n’est pas probable que l’histoire ratifie un jugement aussi sommaire, ni qu’elle décharge M. Chamberlain et lord Salisbury lui-même de toute responsabilité dans l’épreuve qui a été infligée à l’humanité. — Quant aux Boers, a dit l’orateur du Junior Conservative Club, ils n’ont que ce qu’ils méritent pour s’être mis injustement et sottement en travers du chemin de l’Angleterre. — Ils l’ont fait sans doute, les malheureux ! mais il y a déjà plusieurs siècles : pouvaient-ils deviner que l’Angleterre aurait un jour à faire passer son chemin à travers leur patrie ? Longtemps, ils ont reculé, transportant leurs foyers plus loin, toujours plus loin devant le flux sans reflux de l’invasion britannique ; et il est à croire qu’ils auraient fait de même une fois de plus, si les Anglais ne les avaient pas tournés par le nord et mis dans l’impossibilité d’y chercher un refuge. Alors ils ont dû périr ; mais, certes, leur infortune mérite un peu de pitié. Lord Salisbury n’en a aucune pour eux : il se soucie peu, dit-il, de laisser des souvenirs agréables dans l’esprit de ceux qu’il combat. Il ne se soucie pas davantage, lui, homme d’une grande culture intellectuelle et morale, de l’impression que l’Angleterre peut laisser dans le monde civilisé, à la suite de l’acte brutal et sanglant qu’elle accomplit. Si c’est à ses yeux une nécessité de le faire, elle devrait du moins le couvrir de quelques formes. Mais non ! Il semble que la glorification de la force soit devenue sa philosophie politique en ce début du XXe siècle, et qu’elle éprouve comme une jouissance intime et profonde à écraser et à détruire une petite, mais énergique nationalité, après avoir si éloquemment plaidé la cause de tant d’autres, qui, à la vérité, ne la gênaient pas. On croirait assister à une poussée violente du vieil atavisme saxon ou normand, sujet bien digne d’être chanté par M. Rudyard Kipling ! Encore y mettrait-il peut-être quelque imagination lyrique : c’est un travers dans lequel lord Salisbury ne tombe pas. — La guerre du Transvaal, dit-il crûment, n’est pas une