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ou un service, ou même une décision, il fallait les demander à « la Puisieuse : » c’est ainsi qu’on l’appelait. Quant au mari, on l’avait baptisé un « hermaphrodite d’État. » C’était, dit Vittorio Siri, un homme irrésolu dans les affaires, inconstant dans les paroles qu’il donnait et plus artificieux que véritablement habile. Certains projets ambitieux et je ne sais quelles espérances du côté de la Cour de Rome le rendirent dépendant du Pape. » Bassompierre dit de lui : « craintif et peureux. » Rohan, dans sa manière sèche, achève le portrait : « Puisieux, dit-il, homme de petit courage et dont l’industrie ne consistait qu’à tromper. »

C’étaient ces deux hommes que la fortune mettait, maintenant en travers de la destinée de Richelieu, comme si elle eût voulu que le Roi Louis XIII fit le tour de toutes les insuffisances, avant d’appeler l’homme que la voix publique désignait. L’évêque, dans le premier moment, ne sut pas contenir son impatience. Son ambition si vive avait déjà la main tendue pour saisir le pouvoir. Laissons-le parler lui-même : « Dès que le Roi fut rentré à Paris, le 28 janvier (c’est-à-dire près de six semaines après la mort du connétable), on proposa d’abord si la Reine aurait entrée dans les Conseils. On dit au Roi qu’il était à propos qu’il eût confiance en elle, mais qu’il ne devait pas l’appeler au maniement de ses affaires, parce que l’amour qu’il avait pour elle ferait que, bientôt, elle partagerait avec lui l’autorité… Cette résolution ayant été communiquée à la Reine, je me chargeai de faire entendre aux ministres que, s’ils désiraient la gloire du Roi, la satisfaction publique et leur utilité particulière (que de choses à la fois !), ils devaient porter le Roi à lui donner cette place due à sa qualité et à l’honneur du Roi. » Mais les ministres ne se laissèrent pas convaincre. « Rien ne put les émouvoir… » Il est vrai, ajoute-t-il aussitôt, « qu’ils ne s’y opposaient pas tant par aversion qu’ils eussent contre elle que par la crainte qu’y étant une fois établie, elle m’y voulût introduire. Ils connaissaient en moi quelque force de jugement, ils redoutaient mon esprit, craignant que, si le Roi venait à prendre quelque connaissance particulière en moi, il me vînt à commettre le principal soin de ses affaires… ils avaient apposté des gens pour lui rendre toutes mes actions suspectes et odieuses… » S’il en était ainsi, il eût pu s’épargner la démarche.

Sa hâte même mit tout le monde en méfiance, et le Roi