Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les mots : placemens et bénéfices, j’aurais juré que nous avions en face de nous le courtier d’une maison de banque. C’était l’amiral Enomoto, le fameux Enomoto qui, du temps de la Restauration, commandait la flotte du Shôgun et, quand son maître capitula, eut l’incroyable insolence de se sauver avec tous ses vaisseaux et de s’enfermer au port de Hakodaté, où six mois de combats épiques tinrent en échec les forces de l’Empereur. Aujourd’hui, accompagné d’un ingénieur et d’un journaliste, il parcourt l’ancien théâtre de sa rébellion pour y fonder on ne sait quelle société financière.


Épopée, épopée, oh ! quel dernier chapitre !


Pompée mettant en actions les champs de Pharsale voilà, si je ne m’abuse, qui dénote chez les Japonais un sens pratique des réalités modernes.

Mais sous cette prompte intelligence des maîtres européens, sous ce besoin de jouir qui leur fait embrasser toutes les théories et brasser toutes les sortes d’affaires, leur esprit encore imbu d’une certaine brutalité ne répugne pas toujours aux solutions barbares. Je me suis laissé dire que les policiers japonais, anciens samuraï, n’hésitaient pas, en cas de nécessité, à recourir contre les prévenus aux antiques procédés de la bastonnade et de la pendaison par les pouces. Il en est de même des hommes au pouvoir. Hier, en plein Conseil municipal, à Tôkyô, un conseiller tombait frappé d’un coup de poignard. Naguère, il s’en fallut de l’épaisseur d’un scrupule que le premier ministre ne fût assassiné dans un restaurant par des conjurés dont les principaux étaient deux généraux et le président de la Cour de cassation. On étouffa l’affaire : le président, qui avait hésité, s’ouvrit le ventre, et les généraux reçurent de l’avancement. Ce fut sur l’instigation silencieuse du ministère qu’un officier japonais, Miura, escorté d’une bande de samuraï, traqua de chambre en chambre, à travers son palais en fête, comme une bête fauve, la pauvre et charmante reine de Corée, coupable de ne point aimer la politique japonaise. Ils la massacrèrent et la brûlèrent à l’aube, et, dans tout l’empire du Japon, pas une voix ne s’éleva pour protester contre cet acte de sauvagerie. Mais les juges de Hiroshima, devant qui Miura comparut, l’acquittèrent avec des considérans en vérité plus monstrueux- que son crime. Cependant,