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on rendra cette justice aux Japonais qu’ils s’attendaient à voir Miura acquitté, mais victime de son devoir, se couper noblement les entrailles, selon l’esprit des ancêtres, et que déçus, choqués même, ils estimèrent que ce triste individu leur avait manqué de politesse.

« Les nations européennes, s’écriait un jour le comte Okuma, n’ont pas les mains assez pures pour prendre ici le droit de s’indigner ! » Soit : étonnons-nous plutôt que ces réveils et ces revanches du sabre soient aussi rares dans une société où trop souvent le meurtre se guindait en héroïsme. Et songeons que, si les parvenus japonais ont hérité de leurs aïeux ces farouches inclinations, ils en gardent encore quelques aimables traits.

Ils sont généreux, -et je n’entends pas seulement qu’ils ont l’art de ces libéralités sourdes dont on a si bien dit que l’écho n’en était que plus résonnant. J’en ai peu connu qui n’eussent assumé d’assez lourdes charges et dont la vie privée ne se compliquât d’obligations volontaires. La bienfaisance des Japonais ne s’étend guère au delà de leur famille et de leurs amis, mais, dans ces cercles restreints, elle opère infatigablement. L’un élève comme les siens les trois ou quatre enfans d’un vieux camarade ; l’autre héberge et soutient les descendans d’une maison dont les chefs furent gracieux à ses pères. Presque tous, les riches comme ceux qui n’ont pour vivre que leurs appointemens, logent chez eux des étudians pauvres, les nourrissent, les habillent, les défraient de leurs écoles, ne leur demandent en retour que de légers services. Ils ne s’en font point de mérite, tant l’opinion considère que les favorisés de ce monde doivent mettre un peu de leur fortune ou de leurs distinctions au service de la jeunesse. À mesure que leur prospérité s’accroît, leur demeure s’emplit. En arrivant au Japon, je rendis visite à un professeur de Faculté qui entretenait alors trois étudians : quelques mois après, le ministre l’attacha à son cabinet et, quand je retournai le voir, il en avait cinq. L’ancien plénipotentiaire japonais aux États-Unis en pensionnait soixante. C’est une manière bien charmante de comprendre l’impôt sur le revenu. Et c’est aussi une tradition féodale : les, écoliers sauvés de la misère forment souvent autour de leur patron une clientèle dévouée. jusqu’à la mort.

Cette générosité ne va pas sans une grande simplicité. Nos institutions démocratiques creuseront entre les Japonais plus de fossés que leurs mœurs aristocratiques n’élevaient de barrières.