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progressif dont elle est animée ; c’est ce qui explique ce que certaines parties en trahissent, comme son théâtre, d’incertitude ou d’hésitation, sous l’affectation de la force ; c’est aussi ce qui en explique l’unité profonde, et je dirais, si je l’osais, « l’homogénéité » dans l’infinie variété.

Et c’est ce qui en fait aussi la grandeur. Chacun de nous en particulier, pour son usage ou pour son plaisir, a le droit de « préférer » à Hugo tel ou tel de ceux qui furent, de 1822 à 1860, ses rivaux de gloire et de popularité, — c’est affaire de goût, de tempérament ou d’éducation, peut-être et surtout d’âge ! — mais on ne saurait les lui « comparer. » Car il a seul possédé, selon le mot de Baudelaire, non seulement la grandeur, mais aussi l’universalité, si jamais, comme on vient de le dire, inspiration de poète ne fut en notre langue plus « une, » e et cependant plus « variée. » Je ne connais en français ni d’élégie d’amour plus éloquente que la Tristesse d’Olympio, ni d’ode plus triomphale que le Retour de l’Empereur. C’est celle qui commence par les vers :


près la dernière bataille,
Quand formidables et béans
Six cents canons sous la mitraille
Eurent écrasé les géans,
Dans ces jours où, caisson qui roule,
Blessés, chevaux, fuyaient en foule,
Où l’on vit choir l’aigle indompté,
Et dans le bruit et la fumée,
Sous l’écroulement d’une armée,
Plier Paris épouvanté…


Quelques défauts que l’on puisse relever dans Ruy Blas ou dans Hernani, les drames d’Hugo sont déjà, de tout le théâtre romantique, et sans en excepter celui du vieux Dumas, — depuis que son fils n’est plus là pour nous en imposer l’admiration, — les seuls monumens qui subsistent. Ni le regret de l’enfant passionnément chérie n’a jamais pleuré de larmes plus douloureuses que dans la troisième partie des Contemplations : Pauca meae, ni le poète n’a plus orgueilleusement revendiqué sa mission de penseur ou de « puiseur d’ombre, » que dans les vers inspirés des Mages. Les Châtimens, — que je tiens d’ailleurs pour une mauvaise action, — n’en sont pas moins, hélas ! un beau livre, tout enflammé de colère, tout resplendissant de bile, et le chef-d’œuvre