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de la satire, satire lyrique, dans l’Obéissance passive, satire épique dans l’Expiation.


Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche,
Après la plaine blanche une autre plaine blanche,
Il neigeait, il neigeait toujours…


C’est Louis Veuillot qui, si je ne me trompe, a quelque part appelé les Chansons des rues et des bois « le plus bel animal de la langue française, » et on ne saurait plus justement ni plus spirituellement caractériser ce qu’elles respirent de naturelle et d’ardente sensualité. Nous venons enfin de tâcher de dire quelle inoubliable impression d’épopée laissait après soi la Légende des siècles, et, par delà l’épopée, quelle sensation d’apocalypse, qui nous emporte, avec le poète, sur les ailes de la chimère, hors du nombre et hors des temps. Mais n’est-ce pas comme si nous disions que, dans quelque direction que se soit essayée la poésie française du siècle qui vient de finir, et même dans celles qu’elle n’a point tentées, on y rencontre partout Hugo ; que, de la poésie la plus familière, la plus humble, celle des Pauvres gens, presque voisine de la prose, à la poésie la plus haute ou même la plus philosophique, il a rempli « tout l’entre-deux ; » et que, dans tous les genres, ayant fait preuve de la même souveraine maîtrise ou de la même inégalable virtuosité, toute l’histoire de la poésie française, depuis cent ans, se rattacherait donc, si l’on le voulait à l’étude approfondie de son œuvre ou plutôt, et déjà, s’y trouve ramassée ?

C’est évidemment en ce sens que, comme on a nommé le XVIIIe siècle du nom de Voltaire, on a proposé de nommer le XIXe siècle du nom de Victor Hugo. Et, à la vérité, c’est trop dire : Victor Hugo est demeuré trop étranger, trop indifférent à trop de choses de son temps ! Mais ce que l’on peut dire, et si nous ne voulons parler que de poésie ou de littérature, c’est que l’évolution d’aucun de ses contemporains n’est plus représentative, ou ne l’est autant que la sienne, de l’évolution de la pensée du siècle. Elle en est l’abrégé ou le raccourci. Comme son siècle, avec son siècle, plus naturellement que personne en son siècle, il a évolué du subjectif à l’objectif, — puisqu’il en faut enfin venir à