Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comptées au nombre des belligérans dont la coalition entraînerait l’obligation prévue par le traité ? On ne le dit pas.

Aussi comprenons-nous l’espèce d’hésitation qui s’est produite dans l’opinion britannique, lorsqu’il s’est agi d’apprécier ce traité, Naturellement tout le monde, ou presque tout le monde, l’a approuvé, mais non pas sans réserve, et lord Rosebery a peut-être, cette fois, traduit le sentiment public en disant qu’il le trouvait bon sans doute, mais que, quand même il en serait autrement, l’intérêt supérieur de la continuité et de la fixité dans la politique extérieure l’empêcherait de l’attaquer. Néanmoins, beaucoup de critiques se sont produites. On s’est demandé si, pour écarter un danger lointain et, peut être, imaginaire, on ne s’était pas exposé à un danger réel et peut-être prochain, et enfin si on avait choisi l’occasion la plus propice de renoncer à un isolement qui ne pouvait plus suffire à un empire répandu sur toute la surface du globe. Le Japon a montré qu’il était hardi, résolu, téméraire même ; il a les inquiétudes et les impatiences de la jeunesse ; il suffit de lire ses journaux pour voir à quel point l’opinion y est inflammable et enflammée. Il ne cherche certainement pas des alliances de tout repos. Chose remarquable : le traité vise la Russie ; — c’est elle qui est l’objectif principal de l’Angleterre en Mandchourie et du Japon en Corée ; — et c’est peut-être à Saint-Pétersbourg qu’il a été accueilli avec le plus de sang-froid, sinon même d’indifférence. On pourrait croire à une attitude de commande. Les Anglais nous ont tellement habitués à montrer un flegme que rien ne démonte, en présence des incidens les plus désagréables pour eux, que nous ne serions pas surpris de trouver quelque chose d’analogue chez les Russes. Mais la vérité est peut-être plus simple. Les Russes se sont déjà assuré en Mandchourie les garanties qu’ils avaient jugées nécessaires à leur sécurité, et nous ne pensons pas que le traité anglo-japonais ait pour objet de leur faire lâcher prise. Tout au plus pourrait-il les gêner, s’ils voulaient faire davantage ; mais ils ne le veulent certainement pas, parce qu’ils n’en ont pas besoin. Dès lors, la situation actuelle peut se prolonger cinq ans et même plus. Ce n’est pas de la part de la Russie qu’on doit redouter de sitôt des entreprises menaçantes pour l’indépendance de la Chine et de la Corée. Celle de ce dernier empire est même aujourd’hui un des articles fondamentaux de sa politique, et nous sommes convaincus que, si le Japon avait voulu conclure une alliance uniquement pour cet objet, il n’aurait pas trouvé un meilleur ni surtout un plus sincère allié que l’empereur Nicolas.