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Nous espérons que, pendant ce laps de temps, aucune guerre n’éclatera. Qui sait toutefois ? Malgré la forme qui lui est donnée, nous n’osons pas dire que le traité soit purement défensif. Sans doute il commence par un préambule dans lequel les deux puissances contractantes se déclarent « mues par le seul désir de maintenir le statu quo et la paix générale en Extrême-Orient, et, en outre, spécialement intéressées à maintenir l’indépendance de l’empire de la Chine et de l’empire de la Corée, et à assurer des facilités égales dans ces deux pays au commerce et à l’industrie de toutes les nations. » Ces affirmations sont un peu banales. L’indépendance de la Chine, toutes les puissances l’ont proclamée, et avec autant de sincérité que l’Angleterre et le Japon. Des facilités commerciales égales pour tous, c’est la théorie de la porte ouverte opposée à celle des zones d’influence ; c’est la nôtre, c’est celle de la Russie, de l’Allemagne, des États-Unis. Un traité comme celui qui vient d’être conclu n’était pas nécessaire pour garantir des intérêts que personne ne menace. À la vérité, il y en a d’autres qui y sont visés, et qui ne sont pas communs à toutes les puissances : ce sont les intérêts spéciaux de l’Angleterre en Chine et du Japon en Chine et surtout en Corée. Si ces intérêts, intérêts politiques au premier chef, viennent à être menacés pour une cause qui peut être très vague, par exemple des troubles exigeant l’intervention de l’une ou de l’autre puissance, les clauses du traité entrent aussitôt en jeu. Mais qui appréciera la nécessité de l’intervention ? La puissance intéressée seule. Elle est libre, alors, par un acte qui peut être agressif, de s’assurer tous les avantages du traité. Le texte des traités signés en Europe entre plusieurs grandes puissances n’est pas.connu : nous sommes convaincus, toutefois, qu’un allié n’y doit son concours à un autre que si celui-ci a été l’objet d’une agression, et c’est en cela qu’on peut légitimement les qualifier de défensifs. Il y a quelque chose de plus dans le traité anglo-japonais, puisque le casus fœderis peut se poser à la suite d’une initiative militaire prise par un des deux contractans. Or l’un et l’autre, et, peut-être, le Japon surtout, sont très susceptibles de se laisser entraîner à une entreprise de ce genre. Enfin, il y a une lacune ou un point obscur, qui est de savoir si, au cas où l’intervention de l’Angleterre en Chine amènerait un conflit avec le gouvernement chinois, ou celle du Japon en Corée avec le gouvernement coréen, il suffirait qu’une autre puissance donnât son appui à la Chine ou à la Corée pour que l’un des alliés dût son concours à l’autre. En d’autres termes, si la Chine et la Corée étaient attaquées et si elles venaient à se défendre, seraient-elles