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I

En Bosnie-Herzégovine, l’Autriche rencontrait un double avantage. Les provinces occupées par elle étaient en quelque sorte enclavées entre la Dalmatie au Sud-Ouest et la Croatie-Slavonie au Nord. En outre, comme la Dalmatie et comme la Croatie, la Bosnie et l’Herzégovine sont habitées par une population slave, étroitement apparentée à celle des pays austro-hongrois voisins. Si l’on excepte quelques milliers de tziganes et de juifs « spanioles, » les habitans des provinces occupées sont tous « iougo-slaves, » c’est-à-dire Slaves du Sud ; tous se rattachent, par la langue comme par l’histoire, au groupe serbocroate. Mais si, pour l’ethnologue, la Bosnie-Herzégovine est un pays homogène, on n’en pourrait dire autant du point de vue politique ou national. Il n’y a qu’à parcourir les vallées bosniaques pour reconnaître, à la variété même des costumes et des coutumes, que de diversités et d’antagonismes recouvrent cette homogénéité ethnique et cette unité de langue[1].

En Bosnie, comme dans presque tout l’Orient, ce qui réunit les hommes en groupes consciens et solidaires, ce n’est ni l’obscure communauté de race, ni l’identité de langue, ni l’habitude séculaire de vivre ensemble sous la même souveraineté, mais la similitude des croyances et des rites, mais la communauté de religion. Et ce n’est pas là, comme nous serions tentés de le croire, ignorance ou fanatisme, c’est un legs de l’histoire, d’une histoire de quatre ou cinq siècles, qui, sous la domination turque, a substitué la religion à la nationalité ou les a identifiées l’une à l’autre. L’Église a été la seule patrie des raïas opprimés, de même que l’Islam est devenu la seule et vraie patrie de leurs maîtres musulmans, alors même que, ainsi qu’en Bosnie, ils sont, eux aussi, de souche slave.

  1. Sur la langue et la littérature serbo-croates en Bosnie, les slavistes et les philologues trouveront, dans le volume mentionné ci-dessus, une savante étude faite sur place par M. Paul Boyer, professeur à notre École des Langues orientales vivantes. À cette étude est jointe (p. 335), une carte donnant l’extension géographique de la langue serbo-croate. D’après les informations que j’ai recueillies au Montenegro et à Scutari d’Albanie, cette carte, qui, pour tout le reste, m’a paru d’une grande exactitude, semble étendre à tort l’aire géographique de la langue serbe au sud des nouvelles frontières de la Cernagore, sur le lac de Scutari. C’est plutôt, aujourd’hui, l’albanais qui empiète sur le territoire actuel de la principauté, que le serbe qui déborde, en dehors du Montenegro, sur l’Albanie.