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À la honte du régime turc, toutes les provinces qui, au cours du XIXe siècle, ont été arrachées à l’administration des pachas, ont vu leur population augmenter, avec une vitesse inusitée jusque-là. La Grèce, la Serbie, la, Roumanie, la Bulgarie, nous en ont successivement donné la preuve. Chaque fois que le gouvernement passe des mains du sultan en des mains chrétiennes, l’accroissement de la population est aussi marqué et aussi rapide que celui de la richesse ou du bien-être.

S’ils forment près de 43 pour 100 de la population des provinces occupées, les Serbes orthodoxes sont loin d’être également répartis sur tout le territoire. Dans les préfectures de Mostar et de Travnik, ils le cèdent en nombre aux catholiques de rite romain ; dans la préfecture de Sarajévo, aux musulmans. Si l’on prend la ville même de Sarajévo, l’ancien Bosna-Seraï, la riante et prospère capitale de tout le pays, on découvre, non sans étonnement, que les Serbes orthodoxes ne viennent, aujourd’hui, qu’au troisième rang, à une grande distance des musulmans et même des catholiques, dont le nombre, il est vrai, est grossi par les fonctionnaires d’origine autrichienne ou hongroise. Les Serbes l’emportent même de peu sur les juifs qui ont été renforcés dans la ville par un large afflux d’immigrans de l’empire-royaume.

Sort-on des faubourgs de la jeune capitale, les Serbes reprennent l’avantage dans les fertiles campagnes des sources de la Bosna. C’est, en effet, une population en grande majorité rurale. Quoiqu’ils comptent, parmi eux, des marchands, des propriétaires, des artisans, les Serbes orthodoxes forment le gros de la population paysanne, et notamment des anciens kmets, ces tenanciers que la domination musulmane avait réduits à une sorte de servage. Aussi, est-ce parmi les Serbes que se recrutaient surtout les insurgés de la grande rébellion de 1875-1878 qui, par la guerre de Bulgarie, devait amener tant de changemens territoriaux en Orient. Ces insurgés serbes orthodoxes étaient soutenus par leurs frères de la Serbie et du Monténégro, les deux principautés voisines, qui comptaient bien y gagner l’une la Bosnie, l’autre l’Herzégovine. À la tête de ces bandes rustiques dont ne purent triompher les meilleures troupes de la Porte, se distinguèrent plusieurs popes orthodoxes. L’insurrection avait un caractère religieux et national en même temps qu’un caractère économique. Les révoltés luttaient, à la fois, pour leur émancipation du joug musulman, pour l’indépendance de leur pays,