ou plutôt pour son annexion aux petits États serbes voisins, et enfin, pour l’affranchissement des kmets, des paysans à demi serfs, et l’abolition des privilèges des begs. À ce triple égard, on ne saurait dire que l’occupation autrichienne ait entièrement satisfait les insurgés bosniaques. Si elle les a délivrés de la sujétion ottomane, elle ne leur a pas apporté le gouvernement national qu’ils avaient rêvé ; si elle a refréné la tyrannie des begs et des anciens seigneurs musulmans, elle a respecté les droits des propriétaires fonciers ; elle s’est refusée à effectuer, au profit des paysans, une révolution agraire.
Les espérances qui avaient poussé le paysan chrétien à la révolte se sont ainsi trouvées déçues. Les Serbes orthodoxes avaient compté devenir, à leur tour, les maîtres du pays ; ils ont été contraints, par le traité de Berlin, d’accepter une autorité étrangère. On comprend qu’ils aient eu peine à se faire à une pareille désillusion. S’ils sont trop faibles ou trop sages pour se révolter contre une domination qui, après tout, leur donne la paix et la sécurité, ils se plaisent à la regarder comme une combinaison provisoire de la politique européenne. Ils persistent, silencieusement, à considérer le sol bosniaque comme une terre serbe qui, tôt ou tard, devra être gouvernée par des Serbes. Cette heure, qui ne semble pas prochaine, ils l’attendent, sans hâte ou sans fièvre, avec une patience orientale, la patience de peuples qui ont supporté des siècles de tyrannie étrangère ; car, s’il a été le pays des longues souffrances, on pourrait dire que l’Orient est aussi le pays des longs espoirs.
Les ambitions nationales que le traité de Berlin ne leur a pas permis de réaliser, les Serbes de la Bosnie-Herzégovine continuent à les caresser, sans savoir à quelle heure, ni sous quelle forme elles pourront jamais prendre corps. En attendant, ils se serrent, comme par le passé, autour de leur Église. Plus que jamais, en effet, l’Église orthodoxe s’identifie, pour eux, avec la nationalité serbe. Leur patriotisme se reporte tout entier sur la religion. L’Église, de même qu’au temps de la domination turque, demeure l’abri de leurs espérances et comme leur citadelle nationale.
Ce lien étroit de la religion et de la nationalité, encore si fréquent dans tout l’Orient, donne au clergé serbe orthodoxe un rôle à la fois important et délicat. L’influence qu’il peut avoir sur le peuple, le prêtre serbe sait qu’il la doit autant à sa qualité