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que réelles, du Tanzimat. Leur orgueil ou leur intolérance se révoltait contre les promesses d’égalité faites aux ghiaours.

Cette turbulente féodalité musulmane apprit avec colère qu’un Congrès de puissances infidèles avait osé confier à un gouvernement chrétien l’administration de provinces qu’elle considérait comme ses fiefs. Aussi les begs et les ulémas, avec leur double clientèle sociale et religieuse, opposèrent-ils, à l’occupation autrichienne, une résistance acharnée. Pour en triompher, il fallut aux troupes impériales trois corps d’armée et une meurtrière campagne de plusieurs semaines. Aux transports du fanatisme succède, fréquemment, chez le musulman vaincu, la soumise dépression du fatalisme. Ces orgueilleux begs de Bosnie, à la fierté indomptable, sont devenus de paisibles sujets, ou mieux de tranquilles administrés de l’Autriche-Hongrie. Comme s’ils se soumettaient aux tranchantes décisions de l’épée, ils semblent, en apparence au moins, résignés à la domination de l’infidèle. Leur cœur n’en reste pas moins au Turc et à l’Islam. Nous avons pu le constater nous-mêmes, à la curiosité passionnée avec laquelle les musulmans bosniaques nous interrogeaient sur les événemens de Crète. Comme partout, les faciles victoires du Croissant sur les Hellènes et sur la Croix grecque avaient réveillé l’orgueil islamique. Le désir de ne pas heurter les sympathies ottomanes de ses administrés musulmans explique parfois l’attitude de l’Autriche-Hongrie dans les affaires orientales ; la crainte d’offusquer les ulémas de Sarajévo et de Mostar est sans doute un des motifs qui l’ont tenue, en Crète, à l’écart des quatre puissances libératrices.

Le gouvernement de Vienne s’est appliqué, en effet, à ménager les musulmans, bosniaques et n’a rien épargné pour se les concilier. Il a profité, il est vrai, de leur résistance à l’occupation pour les désarmer. La large ceinture des begs de Bosnie est, aujourd’hui, vide de tout l’étincelant arsenal de lames et de pistolets qui fait encore l’ornement de celle de leurs voisins d’Albanie. Grâce à cette mesure radicale, la seule efficace en pays d’Orient, la sécurité a été rendue aux campagnes bosniaques. Les habitudes sinon les idées des begs en ont été peu à peu modifiées. Les plus remuans ont quitté le pays ; les autres commencent à goûter les avantages d’une vie paisible. L’Autriche-Hongrie leur a garanti la protection de leurs biens, comme celle de leur religion. Elle a repoussé les conseils des hommes qui