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réclamaient d’elle des lois agraires en faveur des kmets, des tenanciers chrétiens. Avec leurs maisons et leurs terres, les vrais croyans ont gardé la loi musulmane et leur statut personnel. Les fins minarets de leurs innombrables mosquées se dressent toujours au-dessus des villes et des villages bosniaques. Les vakoufs qui servent à leur entretien, les biens de mainmorte musulmane ont été religieusement conservés ; l’administration ne s’en est occupée que pour en assurer et en accroître les revenus. À Sarajévo a été fondée une institution qui manque à notre Algérie, L’école du Schériat, destinée à servir de trait d’union entre l’Islam et l’esprit européen. Rien peut-être de plus important pour l’avenir du pays que cette sorte de faculté théologico-juridique où, près des ulémas qui enseignent la loi du Prophète, (les professeurs et des magistrats européens travaillent à faire comprendre aux futurs cadis les élémens du droit public moderne.

Presque toutes les puissances de l’Europe ont, aujourd’hui, des sujets musulmans. Aucune ne s’est montrée plus bienveillante envers eux, plus jalouse de se les attacher que l’Autriche Hongrie, si bien qu’elle a été accusée de témoigner plus de complaisances aux musulmans qu’aux chrétiens de l’un ou de l’autre rite. Il semble bien, en effet, que, à certaines heures au moins, l’administration bosniaque ait considéré l’élément « turc » comme celui qui lui devait offrir le plus solide point d’appui social ou politique[1]. Toutes les faveurs compatibles avec la liberté des cultes et l’égalité devant la loi ont été accordées aux sectateurs de l’Islam. C’est ainsi qu’à Sarajévo, à Mostar, dans la plupart des villes pourvues d’une municipalité élue, le bourgmestre nommé par l’administration est le plus souvent un « Turc, » un musulman.

Comment se fait-il que, malgré cette politique si libérale à leur égard, les musulmans de Bosnie se soient parfois plaints du sort que leur a fait l’occupation, et qu’ils aient été jusqu’à faire entendre leurs doléances au Parlement de Buda-Pest ? Cela pourrait s’expliquer sans doute par des froissemens et des mécontentemens individuels ; mais l’explication serait insuffisante. La vérité est que la tâche de l’administration impériale en Bosnie est singulièrement épineuse. Placée entre trois groupes rivaux qui prétendent également à la domination, elle est condamnée,

  1. Voyez, par exemple, M. Charles Diehl, En Méditerranée ; Hachette, chapitre consacré à la Bosnie-Herzégovine.