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Eclairée par son ami sur ce qui se passe à Eu, elle en discute avec lui, le conseille, lui ouvre, avec un grand sens politique et une rare entente de l’intérêt français, des directions précises et claires. Cette Russe sait à merveille que la France n’a rien à espérer de la Russie et que le tsar Nicolas n’aura jamais que mauvais vouloir pour le souverain « usurpateur » qui règne sur les Français. Aussi est-elle toute à l’alliance anglaise et seconde-t-elle de tout son effort le cabinet des Tuileries, qu’elle défend envers et contre tous depuis que Guizot le dirige. Elle ne peut rien pour apaiser la malveillance de celui de Saint-Pétersbourg et son rôle a surtout consisté à exercer son influence sur l’ambassadeur qui le représente à Paris afin d’atténuer les effets de ces dispositions qu’elle déplore. Maintenant, c’est sur l’Autriche et la Prusse qu’elle s’efforce d’agir. Le comte Apponyi, qui représente le premier de ces pays, le comte d’Arnim, qui représente le second, sont venus la voir à Beauséjour. La lettre dans laquelle elle rend compte à Guizot de l’entretien, qu’elle a eu avec eux nous la montre dans son rôle d’Égérie.

« Ils sont venus de bonne heure. J’étais dans les bois avec Pogenpohl, qui me tient fidèle compagnie pour la promenade et pour le dîner. Nous avons eu encore de la causerie avant le dîner à nous trois. Vraiment Apponyi est impayable. Il me dit :

« — Maintenant on ne pourra plus dire que c’est un caprice de petite fille, puisqu’elle ne vient pas à Paris.

« On était tout juste lui, il y a trois jours. C’est de moi qu’ils ont su qu’elle n’y venait pas, car, en ville, on l’attend encore. Tous les deux m’ont dit avec bonne grâce

— C’est plus flatteur, puisque c’est personnel.

« Enfin, le ton était tout à fait changé… Mais j’arrive à l’essentiel. Tous deux m’ont parlé du mariage espagnol[1]. Vous ne serez pas sorti de votre voiture en arrivant à Paris qu’ils seront là pour vous presser au sujet du mariage Don Carlos. Arnim en a reçu l’ordre formel de sa cour. Apponyi s’est longuement étendu sur le fait. Bon pour tout le monde. Bon pour l’Espagne, puisque cela confond et réunit les droits et écarte les dangers d’une guerre civile que ferait naître un prétendant. Bon pour

  1. Il s’agissait d’un projet conçu, je crois, par Metternich et qui consistait à faire épouser la reine Isabelle par Don Carlos, l’hériter de la branche mère des Bourbons d’Espagne, prétendant au trône.