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ni ce qu’il advint de l’infidèle camériste si brusquement parvenue aux honneurs. Nous ne trouvons pas davantage trace des événemens qui traversèrent la vie de la pauvre petite basilissa Anne. Le silence, en ce qui la concerne, demeure complet durant bien des années. Elle ne reparaît dans l’histoire que longtemps après, et pour quelques instans seulement. Son vieux mari, le grand « Vatace, » avait expiré le 30 octobre 1255, à l’âge de soixante ou soixante-deux ans, sous une tente de soie, dans les jardins délicieux de son palais asiatique de Nymphée. Il avait eu pour successeur son fils du premier lit, Théodore Lascaris, alors âgé de trente-trois ans, marié à la fille du roi des Bulgares. Théodore Lascaris n’avait guère fait que passer sur le trône. Il était mort déjà au mois d’août de l’an 1259. Ce prince passe pour avoir usé de mauvais procédés envers sa jeune belle-mère, la basilissa Anne. Jamais il ne lui permit de quitter Nicée et l’Orient, comme c’était l’ardent désir de la pauvre femme. Constamment il se refusa à se rendre aux nombreuses sollicitations de son frère Manfred, qui la réclamait. Toujours il la tint quasi prisonnière comme un otage précieux en sa main contre les entreprises hostiles des Latins de Constantinople.

Anne ou Constance, bien que toute jeune encore, poursuivant depuis si longtemps cette vie si difficile de princesse étrangère découronnée, donnait l’exemple de toutes les vertus. « N’ayant pu, après la mort de son époux, dit Nicéphore Grégoras, regagner son pays natal, elle vécut chez les Romains d’une vie toute rayonnante de vertus, embellissant encore de la pureté de ses mœurs la beauté de ses formes » Certainement l’existence dans ces tristes conditions, avec les mauvais traitemens de son beau-fils, dut être fort pénible à la pauvre recluse.

Ce fut bien pis encore après la mort de Théodore Lascaris et l’avènement de Michel Paléologue, dont la foudroyante fortune fit à ce moment les progrès immenses que l’on sait. Le nouveau chef de la monarchie byzantine, proclamé d’abord régent (de l’empire de Nicée après le massacre de Georges Muzalon, puis mégaduc auprès du petit basileus orphelin Jean, couronné enfin lui-même basileus à Nicée en l’an 1260, conquérant de Constantinople le 25 Juillet 1261, devint, lui aussi, passionnément épris de la belle veuve, alors âgée de trente-deux ou trente-trois ans à peine. Le brillant aventurier qui venait si rapidement de restaurer l’empire grec de Constantinople fut, bien que marié