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encore, il fit fermer devant la Marchesina par ses moines les portes de l’église, lui enjoignant brutalement de sortir. On juge de la fureur de l’Italienne. Il y eut des scènes bruyantes autant que fâcheuses. La suite de la princesse se livra à des violences contre Blemmydès et ses moines. On voulut les forcer à faire amende honorable. Le principal personnage accompagnant la favorite, un certain Drimys, osa, dans ce lieu très saint, tirer son épée. Celle-ci, à la fureur’ extrême de ce mécréant, demeura mystérieusement et invinciblement attachée au fourreau, ce qui fit que les uns crièrent au miracle, les autres au sortilège. Pleurant de rage sous l’affront, Marchesina, après un premier moment de stupeur, excitée davantage encore par les furieuses invectives de ses partisans exaspérés, Drimys en tête, courut demander vengeance au basileus. Ce fut une scène épique. « Vatace, » partagé entre la passion et le remords, d’une voix entrecoupée de sanglots et de soupirs, s’écria : « Pourquoi voulez-vous me forcer à punir cet homme de Dieu ? Si j’eusse vécu sans opprobre, j’eusse conservé la dignité impériale inviolée. Je suis responsable de mes actions. J’ai mal agi et je récolte la tempête. » Il ne put se résoudre à punir Blemmydès, mais la vieille haine qu’il nourrissait contre ce courageux champion des bonnes mœurs s’en accrut d’autant.

La lutte continua ardente entre l’Italienne et le moine austère. Blemmydès, pour justifier et expliquer sa conduite, adressa, à tous les monastères qui dépendaient de lui des lettres encycliques, « catholiques » suivant la formule du temps, exposant les faits. Une copie manuscrite de cette communication insolite se trouve aujourd’hui encore conservée à la Bibliothèque Vaticane. Le style en est tout à fait étrange et intéressant. C’est dans cet écrit que Blemmydès donne à la maîtresse de l’empereur le nom de Frigga. Il exagère visiblement l’insolence de la favorite et représente en un langage éloquent le respect que l’on doit aux lois de Dieu et de l’Église. Il affirme courageusement que les ministres de celle-ci les doivent observer avec un courage invincible, sans être ébranlés par aucun respect humain, ni touchés de crainte ou d’espérance, sinon pour les peines et les récompenses éternelles.

Puis nous ne savons plus rien ! Le silence se fait complet dans les très rares chroniqueurs de l’époque sur Marchesina et ses amours adultères. Nous ne savons ni comment celles-ci finirent,