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avant de le faire traduire en anglais, semble avoir pris à tâche d'exagérer quelques-uns des défauts ordinaires de la critique d'art de son pays. Le fait est que ces défauts, communs aujourd'hui à toute une grande école, se laissent voir chez lui avec d'autant plus de relief qu'ils s'allient à une science plus honnête et plus sûre. Et je ne saurais trouver une meilleure occasion de les signaler.


Un des traits les plus caractéristiques de la critique d'art allemande d'à présent est une espèce d'hostilité foncière contre les opinions établies. Non seulement cette critique se plaît à exalter les humbles et à déprécier les puissants, non seulement elle retire aux maîtres anciens leurs oeuvres les plus fameuses pour leur en décerner d'autres, en échange, que personne n'avait jamais songé à leur attribuer : elle tient même pour non avenus, aussi souvent qu'elle le peut sans trop d'invraisemblance, les témoignages des contemporains, et il n'y a point de traditions si respectables qu'elle ne soit toujours prête à les mettre en doute. C'est dire que, lorsqu'elle traite de l'histoire de l'art italien, son premier soin est d'écarter dédaigneusement toutes les affirmations de Giorgio Vasari. Les Vies des plus excellens peintres, sculpteurs, et architectes ont désormais, aux yeux des critiques d'art allemands, à peu près la même autorité que les « fables » de la Légende Dorée aux yeux des théologiens de l'école libérale. Et maintes fois on a l'impression, en lisant les savants travaux de M. Bode ou de ses confrères, que ces messieurs considèrent comme un devoir essentiel de marquer, avant tout, leur progrès à l'égard de leur prédécesseur Vasari en prenant exactement le contre-pied de tous ses récits.

Or voici, par exemple, ce que nous apprend Vasari de l'éducation artistique d'André Mantegna :


Andrea, étant déjà un grand garçon, fut conduit à Padoue, où il étudia la peinture sous la direction du peintre Squarcione. Celui-ci l'accueillit dans sa maison, et, bientôt, ayant reconnu ses belles qualités, fit de lui son fils adoptif. Je sais tout cela par une lettre latine de messerJérôme Campagnola à messer Léonique Tomée, philosophe grec, lettre où se trouvent des détails sur plusieurs peintres anciens qui travaillaient à Padoue. Et comme ce Squarcione avait bien conscience de n'être point le plus habile peintre du monde, et comme il désirait qu'André apprît plus de choses qu'il ne savait lui en enseigner lui-même, il l'exerça assidûment à copier des moulages de statues antiques, ainsi que des copies sur toile qu'il s'était fait venir de divers lieux, et particulièrement de la Toscane et de Rome. C'est de cette manière, et d'autres encore, qu'Andrea devint très habile dans son art dès sa jeunesse sans compter qu'il y fut stimulé aussi par la rivalité du Bolonais