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comprendre qu’un tel pays puisse exister. On ne saurait dire au premier aspect si c’est la terre ferme ou l’eau qui domine. On voit des côtes basses et humides, découpées sur de larges baies ; des grands fleuves, qui n’ont pas l’apparence de fleuves, mais bien de bras de mer ; et réciproquement, une mer qui paraît changée en rivières et découpe le pays en îles sans nombre : des lacs, des flaques d’eau qui se croisent dans tous les sens… La Hollande est une conquête de l’homme sur la mer ; c’est un pays artificiel, un pays qu’on a fait. Les Hollandais l’ont créé ; il subsiste parce que les Hollandais le gardent ; il disparaîtrait si les Hollandais l’abandonnaient. » Cette dispute perpétuelle d’un peuple contre la nature a pour moyen d’action tout un système de digues, construites à grands frais et grand’peine, qui canalisent les fleuves, resserrent leur cours en des lits invariables, et conduisent leurs eaux à la mer, par une échelle d’écluses savamment calculées.

Il est aisé d’imaginer que cette défense contre les flots peut s’utiliser au besoin contre une invasion d’autre sorte ; et, de fait, l’emploi judicieux des inondations volontaires constitue encore, de nos jours, la meilleure garantie de l’indépendance hollandaise. Qu’on rompe les digues, qu’on ouvre les écluses, sur certains points déterminés : l’eau se répand avec rapidité sur des espaces prévus d’avance, couvrant de quelques pieds les prairies et les champs sillonnés de petits canaux, cachant aux regards de l’ennemi tous les accidens du terrain, rendant l’accès impraticable, à l’exception des routes, qui, « tracées sur les digues, ne sont que de longs défilés. »

Une fois déjà, en l’an 1629, les armées réunies du roi d’Espagne et de l’Empereur avaient dû reculer devant cette barrière aquatique. Une « ligne d’eau » fut établie dans la région d’Utrecht, formée en grande partie par le cours répandu des rivières le Vecht et le Vaart ; et les envahisseurs, menacés par derrière, exposés à mourir de faim dans des régions pauvres et sans ressources, retournèrent sur leurs pas et quittèrent la partie. En l’année 1672, le moyen de salut que tenta la Hollande fut plus complet, plus héroïque encore, plus désastreux dans ses effets. L’eau douce étant insuffisante, on recourut à l’eau de mer, dont le résultat assuré est de stériliser le sol pour de nombreuses années. Les digues du Zuyderzée furent percées en plusieurs endroits ; un torrent furieux, mugissant, se déchaîna sur