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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/578

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premier avis, comme d’une chose qu’on jugeait qui lui serait très agréable[1]. » Il pâlit cependant au récit de l’assassinat, témoigna quelque indignation, et promit de se rendre à La Haye le lendemain, pour y rétablir l’ordre et rechercher les meurtriers. Il y fut en effet ; mais, lorsque les États le prièrent de châtier les principaux coupables, il s’excusa froidement « sur ce que le nombre des complices paraissait trop considérable, » observant, au surplus, « que les humeurs étaient encore trop émues pour pouvoir être apaisées par de faibles remèdes, et que les caustiques n’étaient point de saison[2]. » Il fit mieux, car, un peu plus tard, il distribua des places et des honneurs au délateur du grand bailli et à tous ceux « qui s’étaient distingués dans le massacre des deux frères. » Si l’on veut apprécier quel fut son rôle en cette affaire, on peut s’en rapporter au langage que le prince tint lui-même à Gourville, qui, quelques jours après, l’interrogeait sur ce point délicat : « Il me répondit qu’il pouvait m’assurer qu’il n’avait donné aucun ordre pour les faire tuer, » mais que, ses amis étant venus, au commencement des troubles, demander ce qu’ils devaient faire, il s’était contenté « de les renvoyer à La Haye, » où l’on a vu comment ils interprétèrent son silence. « Au reste, ajouta Guillaume, avant appris cette mort sans y avoir contribué, je ne laissai point de m’en sentir un peu soulagé. »

Cette indulgence toutefois n’alla pas jusqu’à l’inaction. Tout en laissant dormir le glaive de la Justice, le stathouder ne tarda pas à faire sentir la vigueur de son bras. La victoire de l’émeute dans les rues de La Haye avait provoqué au début quelque fermentation dans les grands centres hollandais. « Le peuple, écrit un gazetier de ce temps, s’accoutume aisément au carnage ; il pourrait continuer cette sanglante tragédie sur les premiers qu’il choisira pour victimes de son courroux. » A Rotterdam, à Amsterdam, en d’autres villes encore, on dressait à la hâte des listes de suspects, et les honnêtes gens effrayés « ne faisaient point de façon de dire tout haut que personne, hormis la canaille, ne pouvait plus demeurer en sûreté en Hollande[3]… » Même des gens ajoutaient « qu’il ne fallait plus rien payer » de ce que demanderaient les États Généraux. Luxembourg, en mandant

  1. Relation manuscrite des Affaires étrangères, loc. cit.
  2. Ibid.
  3. Luxembourg à Louvois, 22 et 23 août 1612.