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lesquels deux colonels et beaucoup d’officiers. M. de Zuylestein fut au nombre des morts. Après une défense opiniâtre, il se rendait à M. de Saveuse, quand « un soldat, qui avait moins de clémence, s’avisa de le tuer entre ses mains[1]. »

La bravoure de nos gens, dans cette dernière action, tint vraiment « du miracle ; » Luxembourg leur rend cet hommage, appuyant ce jugement par de nombreux traits d’héroïsme. C’est « le nommé Desalles, capitaine de Navarre, » qui, le corps traversé de deux halles de mousquet, refuse de s’aller faire panser et « est tué tout roide d’une troisième. » C’est Deslandes, lieutenant de dragons, qui, blessé grièvement, « se jette à genoux dans l’eau, » suppliant Luxembourg de lui permettre, avec trente hommes, de poursuivre l’ennemi jusque dans les faubourgs de la ville. C’est un capitaine suisse qui se tient fort longtemps tout seul « à la bouche d’un canon ennemi, » en « chamaillant contre les canonniers » pour les empêcher d’approcher ; mais le feu est mis à la pièce, et le brave homme est foudroyé. Bref, conclut le rapport, après mille récits de ce genre, « il n’en est pas un seul qui n’ait fait son devoir le mieux du monde. »

Il était sept heures du matin quand tomba le dernier obstacle. Depuis la veille au soir, les troupes avaient marché sans repos ni relâche, le plus souvent dans l’eau. Elles se battaient depuis deux heures de nuit. Luxembourg, néanmoins, dit la relation de Saveuse, « poussa encore les ennemis jusque dans le faubourg de Woerden, où ils avaient des chevaux de frise qui empêchèrent de jeter du monde dans la place ; et, les ayant voulu forcer, il trouva les soldats absolument rebutés, mouillés depuis les pieds jusqu’à la tête, et les officiers tellement occupés soit à faire des prisonniers, soit à garder les postes que l’on venait de prendre, — tous les autres étant tués ou blessés, — qu’en ayant demandé vingt pour le suivre aux ennemis, il n’en put jamais assembler que cinq ou six, ce qui le fit résoudre d’attendre que M. de Genlis arrivât avec ses troupes fraîches. » Luxembourg fut encore trois heures dans cette expectative, ressentant « une mortelle angoisse de ce retardement. » Après quoi, impatient de débloquer la ville, il lit mettre le feu aux maisons du faubourg, pointa contre les lignes hollandaises les canons qu’on venait de prendre, et reprit la marche en avant, tandis que

  1. Luxembourg à Louvois, lettre du 18 octobre.