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aussi, » en tendant son verre. De même, il montre, sur une autre page, deux amoureux devisant à l’ombre d’un kloubka. Or, le kloubka est un tout petit arbuste comme celui qui porte la myrtille ; et l’espèce de chien qu’Alexandre Dumas prend la peine de décrire sous le nom de sobak n’a rien d’aussi particulier qu’il paraît le croire, sobak ou plutôt sobaka voulant dire chien. Ceci prouve qu’il faut user avec modération de la couleur locale et employer le moins possible une langue qu’on ne sait pas. Je tâcherai de m’en souvenir.


Ce que n’a pu encore obtenir Hélène, c’est le renoncement à de certaines habitudes déplorables et invétérées. En vain a-t-elle essayé, par exemple, d’introduire l’usage des lits. Le matelas se fait encore accepter, mais un bois de lit paraît du superflu et c’est assez naturel ; comment une famille entière pourrait-elle coucher sur des lits dans une seule pièce ? Tandis qu’elle s’entasse facilement sur la plate-forme en planches qui les remplace. Hélène me raconte qu’elle fut obligée par une tempête de neige de s’abriter, pour la nuit, à longue distance de chez elle, chez des paysans moins bien logés que les siens. Il y avait dix-huit personnes dans la chambre : les enfans et les parens sur les planches, les grands-païens sur le poêle, un berger idiot sous ce même poêle, tandis que, dans un coin, se blottissaient deux jeunes mariés. Couchant tous ensemble, ils ne quittent jamais leurs habits, par décence, mais surtout pour avoir plus chaud, et ces habits qui tiennent à eux toute la semaine comme la peau même de leur corps prennent une teinte tannée uniforme. J’ai dit qu’ils sont en loques. Les poches pendent déchirées, les trous béans dans le dos, sur la poitrine, laissent apparaître d’autres guenilles de même couleur, les gens n’y attachent aucune importance. Ce n’est pas par pauvreté qu’ils ne renouvellent jamais leurs habits, les plus riches paysans font de même ; ce n’est pas par maladresse qu’aucune femme ne raccommode les hardes de la famille ; celles qui s’entendent le mieux à filer de bonne toile de chanvre et à la broder avec art ne prendraient jamais l’aiguille pour faire une reprise. Non, cela leur est égal. Rien ne donne mieux l’idée de cette insouciance générale que le mot adressé par une brave femme à mon amie, qui soignait son mari pendant une maladie avec le zèle qu’elle apporte à tout.