de taches brunes : les magnifiques bœufs aux longues cornes acérées, les vaches grises, les chevaux bais ou noirs, au pas et en bon ordre, se glissent dans la rue verdoyante ; chaque bête reconnaissant son étable, y entre sans qu’on le lui suggère. A la fin, il ne reste sur la place qu’un cavalier au pas, fermant la marche. Le soleil cependant a disparu derrière les toits de paille, un fin croissant de lune se dessine dans le ciel, tandis que de longues traînées de lumière rose effleurent encore les terres noires, qui alternent à perte de vue avec la verdure rafraîchie de la steppe. Et de nouveau, plus que jamais, le silence règne. La solitude s’est faite jusqu’à demain. Même les petites chercheuses de champignons, qui fouillaient la terre de leur couteau pour nous rapporter des plats savoureux, sont rentrées avec le bétail. Plus rien qu’une frêle spirale de fumée, qui s’élève tremblante, annonçant le souper. Puis, un chant triste s’élève et meurt… La steppe tout entière s’endort.
10 septembre.
Nous sommes toujours en vacances, mais déjà la maison d’école est remise à neuf pour la rentrée des classes, qui aura lieu au commencement d’octobre. J’admire le soin qui a été apporté par une intelligence toute maternelle aux moindres détails de son installation. D’abord, le site même, à l’extrémité d’un jardin botanique, est bien choisi. Les enfans du village n’ont qu’à traverser la place pour atteindre la ravissante pépinière, toute bordée de haies d’églantier, où les jeunes plants d’arbres fruitiers alternent avec les plus belles roses que j’aie vues de ma vie. Un parfum de réséda et de fruits mûrs remplit l’enclos. Il serait peut-être dangereux en cette saison d’y lâcher les écoliers ; j’en juge par les tentations qui me saisissent moi-même. Mais on me dit que le sentiment de l’honneur commence à pénétrer chez ces enfans d’une race qui tient cependant le larcin pour péché véniel. Jamais on ne leur applique aucune punition et ils marchent droit, signe à noter dans un pays où les magistrats croient encore à la nécessité des verges. Une seule exécution a été faite : il a fallu expulser deux voleurs sortis de familles où l’instinct du vol était héréditaire. Si l’on se rappelle les origines de Theodorofka, deux incorrigibles, c’est peu, et cela donne confiance dans le pouvoir de l’éducation. Les bancs, les pupitres sont construits d’après les méthodes d’hygiène scolaire les plus