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introuvables. Il a fallu accepter l’hypothèse de Charles Labitte : « Par malheur, le roman dont parle Lemercier, et dans lequel les admirateurs du poète eussent cherché avec charme quelques accens de la jeune captive, n’a pas été imprimé ; et remis, ainsi que des Mémoires sur la Révolution, entre les mains du prince de Talleyrand, il paraît avoir été détruit[1]. »

En revanche, à mesure que les « Souvenirs » et les « Correspondances » de cette époque venaient au jour, ils montraient l’Aimée de Coigny vivante dans l’attention de ses contemporains, surtout de ses contemporaines, et lui faisaient une autre renommée.

Ces sortes d’écrits ne sont guère des jugemens sur l’essentiel des choses ou des personnes ; ce sont des bavardages sur les détails les plus propres à distraire la curiosité de chaque jour. Aussi le succès actuel de cette littérature ne prouve-t-il pas un retour au sérieux. Nos oisifs, à la lire, se flattent d’avoir perdu leurs goûts frivoles ; ils l’aiment, au contraire, parce qu’ils y retrouvent leur propre façon de comprendre et de vivre la vie : ces grands enfans croient s’intéresser à l’histoire et continuent à n’aimer que les histoires. Surtout les mémoires et billets où des femmes s’occupent de femmes ne racontent-ils pas l’omnipotence des riens, et l’obsession de plaire ? Pour elles, qu’est regarder l’une d’elles ? Mesurer l’importance de leur contemporaine à l’étendue du cercle mondain où, par un consentement général, elle est la première ; mesurer son pouvoir au nombre et aux mérites des hommes qui, non contens de l’entourer, ont vécu sans son charme ; enfin, puisque la preuve suprême du charme est l’amour, chercher par qui elle a été aimée, et si, comment, pourquoi et par qui la conquérante des cœurs se serait laissé prendre le sien. Voilà précisément ce que ces voix du passé racontaient d’Aimée. Unanimes à célébrer son esprit, mais seulement cet esprit des mots qui est le fard de la pensée, elles appréciaient surtout ses dons intellectuels comme une ressource auxiliaire qui lui rendait plus facile et plus assurée la domination mondaine, et elles dénonçaient dans ses succès les preuves de ses faiblesses.

En 1825, parurent les Mémoires de Mme de Genlis Personne n’avait été mieux placé pour connaître le monde de l’ancien régime à la veille de la Révolution : elle écrivait qu’il avait suffi à

  1. Ch. Labitte, Études littéraires, t. II, p. 184.