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innocens du moins ; car les Romaines disposent d’un répertoire abondant d’injures vigoureuses qu’on ne saurait traduire : « bouche tordue, tête de citrouille, balayure de la piazza Navona, cœur de lapine » et « fumier de poux » sont les apostrophes les moins violentes. Mais leur vie ne s’écoule pas toute en disputes et en conversations oisives. Belli nous introduit près d’elles aux heures d’intimité, leurs vraies heures, celles qui comptent, les heures de l’épouse et de la mère. Il sait peindre, d’un trait rapide, les intérieurs modestes, le cercle accoutumé des figures vieilles et jeunes, le charme des occupations tranquilles, l’air immuable des postures familières. Ici, la fille aînée donne la becquée au marmot ; le mari fume ; un fils mange du pain et des radis ; et la mère, à la cheminée, allume avec le soufflet un « chauffoir » (scaldino) de braise et de cendre. Ailleurs la mère, qui est morte, est remplacée par la vieille grand’mère. Quand le père revient, une heure après l’Ave Maria, elle quitte son rouet, elle attise le feu, elle met la table, et l’on mange deux feuilles de salade. Quelquefois c’est une friture, mais si mince, « qu’on voit la lumière au travers, comme au travers d’une oreille. » Quatre noix, et le dîner est fini. On gobelotte lentement, une heure ou deux, tandis que la grand’mère ôte le couvert, lave et essuie. Et quand on voit le fond du litre, on dit un Salve Regina et l’on se met au lit dans la paix du Seigneur. Ces tableaux d’intérieur sont calmes et reposans, d’une simplicité caressante comme les clairs-obscurs de Rembrandt.

C’est là le cadre où la femme romaine apparaît le mieux, dans son naturel et à son avantage. Bien des sonnets de Belli nous montrent des coquettes, des paresseuses, des femmes qui trompent leurs maris, comme aussi des maris qui ne s’en plaignent pas et qui en tirent profit, des mégères et des gourgandines, de fausses dévotes et de fausses ingénues. Le vice et le ridicule étant, non pas plus communs, mais plus aisés à observer, plus intéressans à imiter que la vertu, le bon sens et toutes les qualités de juste milieu qui concourent heureusement à formelle caractère moyen de l’humanité, il est assez naturel que l’œuvre du poète regorge de fripons, de canailles, de toutes sortes de personnages grossiers et ignobles, et que la femme en particulier, dont le beau rôle est humble, discret, invisible, y soit souvent représentée par les créatures tapageuses qui compromettent le plus la réputation de leur sexe. Mais on se