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médisance, de la candeur chez l’une, de la légèreté chez l’autre, de l’hypocrisie chez une troisième, — elles ne se distinguent entre elles que par le plus ou moins de leurs qualités morales et de leurs défauts, et ne diffèrent pas sensiblement de ce que sont les femmes du peuple en tous pays, sinon par quelques détails extérieurs de leur existence, et par la saveur spéciale de leur langage ; encore se rapproche-t-il souvent de celui qui fleurit aux lèvres violentes des dames de la Halle. Les Romains de Belli offrent des traits plus saillans. Ils ont plus d’occasions de mettre en relief leur originalité. Ils agissent, ils pensent, ils réfléchissent sur eux-mêmes. Comme tous les gens qui ne font pas grand’chose, ils ont beaucoup de philosophie ; et leur philosophie les autorise à ne rien faire et à rester ce qu’ils sont.


III

Or, ils sont surtout insoucians et prodigues. Les Florentins, les Toscans, les Lombards, gens du Nord, prévoyans et raisonnables, ont parmi eux repu talion d’avares. Ils méprisent hautement l’économie. À quoi bon remplir sa bourse ? Mieux vaut se remplir le ventre. C’est, à dire vrai, la morale qu’Horace a chantée brillamment dans quelques-unes de ses odes. Tous les Romains sont ses disciples. Ils sont amis des longs repas ; ils les espèrent, les prévoient, les contemplent, les savourent, les digèrent, les racontent avec des mots luisans, comme leurs yeux, de caresses sensuelles. La gloutonnerie copieuse des héros rabelaisiens, affinée au goût expert d’un Brillat-Savarin, égalerait à peine la verve enthousiaste de leurs énumérations, l’abondance minutieuse de leurs appréciations. Ils n’aiment pas moins à boire qu’à manger. Le vin les ravit. La couleur, le bouquet, le goût, tout leur en est sensible et cher, et pour le célébrer leurs phrases se dilatent comme leurs narines et s’humectent comme leurs lèvres. Ils supporteront la prison et l’exil, mais non pas qu’on prétende régler leur attachement à la dive bouteille. Le pape Grégoire XVI décide qu’on fermera les osterie et qu’on ne versera plus le vin qu’à la porte. Plus d’interminables séances dans la fraîcheur sombre des cabarets, plus de dégustations lentes, de langues claquantes et de palais épanouis. C’en est trop. « Pape Grégoire,