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intérêts matériels et moraux du pays. On court au mal immédiat pour essayer de le supprimer, et, si l’on n’y parvient pas du premier coup, on aime mieux lui livrer une nouvelle bataille dans quatre ans que dans six. C’est un sentiment très légitime. Quoi qu’il en soit, le fantôme des six ans est aujourd’hui dissipé, ou du moins il a disparu dans les brumes d’un avenir indéterminé. La Chambre prochaine, comme ses devancières, ne durera que quatre ans, et, dans trois ans et demi, nous avons quelque chance d’assister de nouveau au spectacle qui se déroule en ce moment sous nos yeux.

On a discuté beaucoup d’autres questions électorales au Palais-Bourbon. La plupart n’ont qu’un médiocre intérêt ; il en est une pourtant qui mérite qu’on s’y arrête, celle de savoir dans quelle mesure les préfets ont le droit de refuser de recevoir les déclarations de candidatures qui pourraient leur être faites. Au moment de la lutte contre le boulangisme, le Parlement a voté une loi qui interdit à un candidat de se présenter dans plus d’une circonscription, et qui, pour assurer sa propre exécution, l’oblige à déposer à la préfecture de son département une déclaration de candidature. Le préfet en accuse réception. La loi, en somme, ne dit pas autre chose, et c’est un véritable abus d’en faire sortir pour le préfet le droit de refuser une déclaration, c’est-à-dire de décider à lui tout seul si un candidat est éligible ou non. Il est de principe, au moins jusqu’à ce jour, qu’une assemblée parlementaire est seule juge de la validité de l’élection de ses membres. Nous comprendrions que l’on confiât ce jugement à un tribunal, qui offrirait plus de garanties d’impartialité que l’assemblée plie-même ; mais le confier à un préfet, c’est-à-dire à un agent politique du ministère, et cela avant même que l’élection ait eu lieu, est une décision tellement grave qu’elle ne serait venue à l’esprit de personne sous un autre régime que celui-ci. L’Empire lui-même n’en a pas eu l’idée.

Les radicaux d’aujourd’hui ne reculent pas devant des scrupules qui leur paraissent d’un autre âge. Il y a eu pourtant des exceptions parmi eux. M. Viviani, par exemple, s’est montré inquiet de l’omnipotence préfectorale qu’on voulait instituer, et M. Camille Pelletan, qui a sur beaucoup de ses collègues l’avantage de connaître l’histoire, instruit par le souvenir du passé, s’est ému à la pensée de ce qui pourrait arriver, si les armes qu’on s’apprêtait à forger tombaient un jour entre les mains d’un autre gouvernement et d’une autre administration. Qu’auraient à répondre les radicaux, si on leur disait demain : Subissez la loi que vous avez faite vous-mêmes ? A notre sens, la