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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/719

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les deux puissances, allons plus loin : lorsque les quatre puissances assurent qu’elles n’ont agi que dans l’intérêt de la paix, il n’y a pas lieu de mettre en doute la sincérité de leur déclaration. En ce qui nous concerne, M. Delcassé a eu déjà une double occasion de s’expliquer, d’abord au Sénat et ensuite à la Chambre, et, si ses explications ont été très discrètes, du moins elles ont été parfaitement nettes. A notre tour, nous pouvons maintenant examiner la note franco-russe, en peser les termes, et nous demander dans quelle mesure elle nous engage.

Car elle nous engage dans une certaine mesure, on ne saurait le contester. Aussi l’opinion, sans aller jusqu’à s’en émouvoir, s’est-elle un peu préoccupée de la situation nouvelle qui nous était faite, et M. Denys Cochin a posé à ce sujet à M. le ministre des Affaires étrangères une question à laquelle M. Delcassé n’a répondu qu’à demi. Ce n’est pas un reproche que nous lui faisons : répondre à demi est quelque chose en matière diplomatique. Mais enfin, il est naturel qu’on se demande en France jusqu’où le développement de l’alliance russe peut nous conduire, et quelles obligations elle risque de nous imposer, non plus seulement en Europe, mais en Asie, et peut-être dans toutes les parties du monde où les deux pays ont des intérêts. Il n’est pas douteux que le but de l’alliance, lorsqu’elle a été primitivement conclue, était plus précis et plus restreint. Il n’était même pas venu à la pensée de ses premiers négociateurs qu’elle pût s’étendre aux deux hémisphères : si cette idée s’était présentée à leur esprit, ils l’auraient repoussée. L’alliance avait pour but de nous assurer la sécurité de nos frontières, et c’est en cela surtout qu’elle nous était précieuse ; car cette sécurité, nous ne l’avons pas eue toujours, et nul de nous n’a pu oublier les heures inquiètes que nous avons quelquefois traversées. C’est pour cela que l’alliance a eu tout de suite en France une popularité que la réflexion n’a fait que confirmer, et qui n’a rien perdu de sa force, ni de sa chaleur. Il semble bien aujourd’hui qu’elle n’ait plus tout son caractère original. La note du 19 mars a montré les deux puissances agissant en commun à l’autre extrémité du monde. Dès lors l’opinion a dû se demander, et elle s’est demandé en effet, si les obligations nouvelles que nous avions contractées ne pouvaient pas nous imposer subitement des devoirs et des charges où nous donnerions peut-être plus qu’on ne nous donnerait. On s’est posé la même question en Angleterre, lorsque le traité avec le Japon y a été connu. L’opinion britannique n’a pas été unanime dans le jugement qu’il convenait d’en porter. Beaucoup de personnes ont exprimé