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l’appréhension que l’ambition et l’humeur batailleuse du Japon n’entraînassent un jour l’Angleterre plus loin ou plus vite qu’elle ne voudrait aller, et peut-être que ses intérêts propres ne le comporteraient.

A des questions de ce genre, l’avenir seul peut répondre. Il est certain que, si la France et la Russie ont en Extrême-Orient des intérêts du même genre, ces intérêts portant sur des régions éloignées les unes des autres par des espaces immenses, il est peu probable qu’ils soient mis en cause simultanément. Quant au traité anglo-japonais, nous avons dit qu’il était un avertissement adressé à la Russie : il n’a pas eu le même caractère à notre égard. L’Angleterre s’est préoccupée surtout de la Mandchourie, et le Japon de la Corée. Mais notre situation au Tonkin n’inquiète personne, et pour une raison bien simple : c’est qu’on regarde notre ambition territoriale comme satisfaite, au moins pour assez longtemps ; tandis qu’au nord, l’Angleterre et le Japon ne sont pas aussi rassurés sur les projets éventuels de la Russie, et la Russie elle-même ne l’est pas davantage sur ceux du Japon ou de l’Angleterre. Ce sont là des faits évidens par eux-mêmes, et qu’il serait inutile de contester. En mettant notre signature au bas de la note franco-russe, nous avons donc donné, au moins pour le présent, une garantie supérieure à celle que nous recevions.

Mais il faut examiner ce qu’est cette garantie, et jusqu’à quel point elle nous engage. Que dit la note du 19 mars ? Uniquement que, si nos intérêts, — ceux de la France et ceux de la Russie, — étaient menacés, les deux gouvernemens alliés se réserveraient d’ « aviser éventuellement aux moyens d’en assurer la sauvegarde. » Cela a une valeur sans doute : il s’en faut pourtant de beaucoup que nous nous trouvions en présence d’un engagement aussi étroit et aussi formel que celui qui résulte pour l’Angleterre et pour le Japon du traité du 30 janvier dernier. Aussi avons-nous déjà fait observer que les deux documens, qui se ressemblent dans leur première partie au point de se confondre l’un avec l’autre, diffèrent sensiblement dans la seconde. L’Angleterre et le Japon se sont engagés à se donner mutuellement leur concours, si l’un des deux rencontrait en face de lui deux adversaires à la fois, et cela quand même il les aurait provoqués. Il n’y a rien de pareil dans notre note. Il n’y est fait allusion à aucune coalition possible de plusieurs puissances qui devrait assurer notre concours à la Russie. C’est seulement dans le cas où nous jugerions nous-mêmes nos intérêts menacés, et dans le cas où la Russie jugerait que les siens le sont pareillement, que nous aviserions ensemble au moyen de les protéger. Ce texte nous laisse respectivement une assez grande liberté. Au