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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/740

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facultés à l’intérêt personnel, et dans une lutte où chacun combat pour soi contre tous, ne prépare ni celui qui l’acquiert, ni ses descendans à oublier leur propre avantage, à préférer quelque chose à eux-mêmes, et, par suite, le bien public aux faveurs dont la royauté dispose. Dans une aristocratie, l’or n’est que l’alliage : il n’en faut pas trop ; sinon elle devient une fausse monnaie.

La foi dans les vertus universelles de l’argent n’est pas française et c’est de l’étranger qu’elle venait. Rien, depuis la Révolution, n’étonnait nos royalistes à l’égal de cette aristocratie anglaise qui, suppléant à la médiocrité et la folie de ses princes, avait soutenu sans désavantage la lutte contre le génie de Napoléon. Eblouis par cette splendeur de ténacité, ils ne discernaient pas que si l’argent donnait à cette aristocratie des forces, il la liait, elle et ses forces, à des intérêts tout matériels ; qu’elle gouvernait au dedans pour exploiter à son profit le travail de la population et les ressources du sol ; qu’elle luttait uniquement au dehors pour assurer la prépondérance du commerce britannique dans l’univers ; que cette avidité eût traité l’univers en pays conquis si elle n’avait trouvé pour rivale une ambition grande aussi comme le monde ; qu’enfin, si l’oppression était limitée au dedans, c’était par les antiques remparts de la liberté individuelle, des franchises locales, des associations volontaires, par le respect de la loi pour la coutume, c’est-à-dire par la solidité d’une structure féodale sous la nouveauté mercantile. Ils ne réfléchissaient pas que transplanter ce régime parlementaire en France où toute cette vie locale et corporative, qui est la part légitime des plus humbles à la vie collective et au gouvernement d’intérêts généraux, avait disparu, où toutes les garanties instituées par le moyen âge pour la protection des faibles avaient été détruites, où la loi avait autorité sur tout, où le gouvernement traitait en maître la loi elle-même, c’était livrer sans réserve l’avenir de la nation et le sort de chacun à une oligarchie censitaire, la plus égoïste des oligarchies. Ainsi l’Angleterre nous était également dangereuse par ses rivalités et par ses exemples.

Talleyrand poursuivait un autre dessein : rendre le pouvoir à une aristocratie d’intelligence. C’est par cette aristocratie et pour elle qu’avait commencé la Révolution française. Formés par l’enseignement classique et par la philosophie du XVIIIe siècle, les Constituans s’étaient faits fort de soumettre la société au droit de leur savoir qu’ils nommaient la raison. Persuadés que le