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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/743

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sur les parlementaires et aux parlementaires par son influence sur la Cour.

Tout dans l’exécution du dessein fut suite, concordance, habileté. Mais que valait le dessein lui-même d’assurer le gouvernement à l’intelligence ? Qu’était cette intelligence ? Celle qui, après quatre mille ans de civilisation humaine et onze siècles de gloire française, se vantait d’être née seulement en 1789. La philosophie du XVIIIe siècle, une éducation toute classique, une complète inexpérience des affaires avaient rendu les penseurs d’alors inaptes à être persuadés par autre chose que la beauté littéraire des idées générales et par la force logique des théories. C’est cette compréhension restreinte qu’ils crurent être toute l’intelligence et à laquelle ils demandèrent toute leur sagesse. Cette sagesse avait condamné et détruit tout ce qui ne se justifiait pas au premier appel des syllogismes, institutions, coutumes, respect, foi, et sur les ruines, elle avait ouvert à l’humanité tout entière un superbe asile de mots. Au nom de cette sollicitude universelle, ne préparer en fait que les privilèges d’une oligarchie avait été le premier sophisme de cette intelligence. Elle s’était aussitôt sentie gênée par le régime qu’elle avait inventé pour se rendre souveraine : où toutes les affaires d’un peuple se trouvent soumises à un seul tribunal, le Parlement, chacune d’elles ne saurait être familière qu’à un petit nombre de ceux qui la jugent, donc toutes sont décidées par une majorité qui ne les connaît pas. Le gouvernement des capacités était le gouvernement des incompétences. Cette intelligence trouvait son infériorité dans son idéal même : aveugle au passé, mutilée du respect, ignorante que le temps est le grand arbitre des tentatives humaines, elle rêvait de découvrir d’un coup et pour toujours la vérité sociale. Or la raison est impuissante à ces conquêtes soudaines, précisément parce qu’à chacun elle montre d’abord, comme l’essentiel ou le tout des choses, les apparences diverses, accessoires, fugitives, contradictoires de ces choses, qu’à personne elle ne révèle du premier regard l’ensemble permanent, les conséquences lointaines, la vérité plénière de quoi que ce soit. C’est seulement la durée de l’attention et le contrôle de l’expérience qui usent les divergences des esprits et amènent à un même jugement sur les affaires importantes l’anarchie première, c’est seulement après être devenue du sens commun que la raison devient une force sure et le témoin décisif de l’intérêt