Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/766

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui leur semblait grand, la brièveté de ce qui leur semblait durable, la vanité des riens qui leur tenaient lieu de tout. Alors ils ne subissent pas seulement leurs maux, ils les jugent, et le commencement de mépris qu’ils éprouvent pour eux-mêmes est le commencement de leur sagesse. Ils ne s’étonnent plus si le bonheur, cherché par eux où il n’est pas, leur échappe. Leur douleur s’épure de colère, par leur résignation ils collaborent à l’ordre qu’ils n’ont pas servi par leurs actes, et l’idée de justice, en leur apportant la patience, les rend à l’espoir. Si l’acceptation humble du châtiment devient un mérite, ce mérite prie pour les Imites, les compense, la générosité du courage crée un titre au pardon et les maux eux-mêmes préparent ainsi le bonheur dont le désir survit à tout. Alors toutes les épreuves deviennent profitables, tous les délaissemens sont bénis, et la solitude se change en compagnie incomparable, quand elle a mené à Celui qui sait, lorsqu’il lui plaît, enlever aux larmes leur amertume. Et vinssent-ils à lui quand le jour s’achève, et ne leur restât-il que le temps de reconnaître au seuil de la mort la longue erreur de leur vie, il a fait pour eux dans son évangile sa promesse aux ouvriers de la dernière heure.

A Aimée de Coigny manqua cette consolation suprême. Pour trouver la quiétude dans l’oubli des devoirs, elle avait eu besoin de croire que ce monde est le seul, et s’était fait les sophismes qu’on juge décisifs quand on a intérêt à les admettre. Cette corruption de son jugement par ses passions était si profonde qu’elle était devenue sa nature. Le ciel lui paraissait plus vide encore que la terre, et Dieu fut absent de sa mort comme de sa vie. Elle avait été jusqu’à la fin la « jeune captive, » la captive de l’amour qui ne sait pas vieillir.


ETIENNE LAMY.