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peuples faibles le sentiment très vif de leur nationalité distincte ; et par là même il nous rouvrira les voies de la prospérité matérielle, car, depuis cent ans, il est sans exemple en Europe qu’un mouvement national n’ait pas été accompagné ou suivi d’un mouvement de renaissance économique.

« Ainsi, l’heure est venue de choisir : il faut vaincre l’anglicisation ou périr par elle. Nous referons de l’Irlande une nation, ou bien il n’y aura bientôt plus d’Irlande. L’avenir est aux mains du peuple ! »

Comment le peuple d’Irlande a répondu à ces exhortations, comment les cœurs irlandais ont battu, les consciences se sont éveillées à cet appel, on ne peut mieux s’en rendre compte qu’en regardant ce qu’est devenue en moins de dix ans la Ligue gaélique et ce qu’elle a fait. Dès à présent, et bien qu’encore en pleine croissance, elle a, sur le territoire d’Irlande, quelque chose comme 400 branches ou centres d’action locaux et populaires, qui par tous moyens travaillent à répandre l’idée nationale et le langage national, à en faire des facteurs actifs de la vie journalière dans le cercle familial ou social ; qui organisent, — c’est leur première fonction, — des classes de langue irlandaise au profit de leurs membres, classes avant tout pratiques et dirigées tantôt par des professeurs payés, tantôt par des maîtres amateurs, hommes de bonne volonté, peu savans parfois, mais pour qui c’est une œuvre de foi, de joie, que de communiquer à autrui le peu qu’ils savent : ces maîtres-là, il y en a actuellement des centaines en Irlande, et qui tous font de la bonne besogne, grâce aux méthodes très intelligemment conçues qui leur sont fournies par la Ligue, grâce aussi aux admirables petites « leçons » à l’usage des commençans rédigées par feu l’abbé O’Growney et que la Ligue vend à un penny le fascicule. Il y a des branches spéciales d’ouvriers, de collégiens, de dames ; de même il y a dans chaque branche des classes spéciales pour débutans, pour vétérans, des classes d’histoire irlandaise, des classes de chant et même de danse où l’on enseigne les vieux airs nationaux, la jig et la reel nationales. Faut-il signaler encore cette chose touchante, une classe de langue irlandaise pour les aveugles de l’hospice Sainte-Marie à Dublin ? — L’été, pendant les vacances, les fervens du parler gaélique se réunissent par groupes en sgoil saoire (écoles d’été) dans les villages de l’Ouest où ils se mettent à l’école des vieux paysans, pour apprendre d’eux non