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peu près aussi grosse, aussi grande, et aussi vilaine que Mme de Toussy. En récompense, elle a le plus beau teint du monde, et je ne peux mieux vous en dépeindre la perfection qu’en vous disant qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de Mme de Colbert. » Louvois en profite aussitôt pour s’égayer aux frais de l’amoureux et de son « extraordinaire » conquête : « Puisque cet homme, dit-il, est de si méchant goût, je ne veux de ma vie avoir commerce avec lui. Ne manquez pas de le lui dire, et tout ce qui pourra le fâcher, sur quoi je vous donne un très ample pouvoir. » Luxembourg, s’il ne se « fâche » pas, goûte peu ces médisances : « Je ne savais pas, réplique-t-il, que M. de La Vallière fût votre espion dans cette armée. Mais je viens d’approfondir qu’il y sert dans ce noble emploi, l’ayant surpris vous écrivant mille gentillesses sur mon chapitre. »

Ce sont là passe-temps, à tout prendre, assez inoffensifs : il en est d’autres, par malheur, dont on n’en saurait dire autant. Pour contraindre à la soumission les populations hollandaises, Luxembourg reconnut promptement que la seule persuasion était une arme insuffisante ; il voulut faire trembler ceux qu’il ne pouvait pas convaincre. Cette politique, d’ailleurs, s’accordait bien avec ses sentimens. Plus les mois se succèdent, plus l’occupation se prolonge, plus s’avive au fond de son âme une exaspération sincère contre ces gens qui le retiennent dans leur misérable pays, qui persistent froidement, malgré tous les sévices, à sacrifier leurs fortunes et leurs vies pour le maintien de leur indépendance. Le flegme hollandais, l’insensibilité apparente de ce peuple, l’obstination vaillante cachée sous des dehors épais, répugnent étrangement à sa vivacité française. Il méconnaît la vraie grandeur de cette résistance opiniâtre, et couvre de dédain ce stoïcisme silencieux. Cette injustice lui est d’ailleurs commune avec la plus grande part de ses compatriotes. « Le Roi m’a commandé de vous dire, — lui écrivait Louvois, en lui annonçant le passage des plénipotentiaires qui se rendaient au congrès de Cologne, — que, nonobstant le mépris que l’on doit avoir pour les gens de cette nation, il faut les traiter comme des ambassadeurs. » Stoppa lui-même, l’honnête et modéré Stoppa, se : laisse parfois gagner par l’opinion courante, s’impatiente de cet entêtement à ne point implorer la paix : « Je vous ai déjà mandé[1],

  1. Lettre du 24 février 1673. — Archives de la Guerre, t. 320.