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IV

Plus on est pénétré de cette conviction, — affermie chaque jour par le spectacle de l’évolution économique en Angleterre et en Allemagne, — que les rigueurs d’une protection vigilante et minutieuse sont indispensables pour sauvegarder les intérêts fondamentaux de notre pays et en assurer le développement, plus fermement on doit protester contre le recours à des mesures abortives comme ce régime de la patente coloniale, meurtrière à la jeune sève qui bouillonne sous l’humus de nos terres vierges, au moment même où tarit la fécondité du vieux sol patrimonial.

Tant que la science n’aura pas trouvé le moyen de retenir dans une enceinte douanière le soleil qui fait épanouir les végétations luxuriantes des régions tropicales, il sera plus sage de chercher à se faire une part dans ses bienfaits qu’à l’arrêter dans sa course. C’est de ses rayons d’or qu’est fait le péril jaune dont l’irradiation trouble tant de cervelles, et pousse des gens de haute raison et de profonde expérience à prétendre qu’au lieu de cultiver notre jardin, nous le laissions en friche pour faire pièce au mystérieux envahisseur qui doit quelque jour nous déposséder d’après les Nostradamus de l’astrologie économique.

Avant que ces temps soient venus, la rareté de la main-d’œuvre, dont nos possessions auront à souffrir bien des années encore, quoi qu’en pensent les théoriciens, maintiendra l’industrie coloniale dans des difficultés qui ne lui permettront pas de songer à concurrencer qui que ce soit, absorbée qu’elle sera par les soins laborieux de pourvoir tant bien que mal à ses propres nécessités.

Et puis, s’il arrive un moment où les conditions du travail deviennent aussi avantageuses, dans telle ou telle colonie, que le prétendent les alarmistes du péril jaune, pourquoi nos industriels métropolitains ne s’appliqueraient-ils point à en tirer parti directement ?

« Pourquoi ne se syndiqueraient-ils pas, dit M. Chailley-Bert, et ne feraient-ils pas entre eux un capital de quelques millions de francs pour aller là-bas fonder de grandes usines, soit de